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Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 18.djvu/82

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REVUE DES DEUX MONDES.

Lamartine est de la race de Virgile, il lui appartenait, et il l’a prouvé, de compter parmi les grands, les immortels bienfaiteurs.

J’ai dit que ce volume n’était pas dépourvu de hautes beautés. La nouvelle conclusion de Jocelyn, qui nous est donnée par manière de variante, a une ampleur et une sublimité merveilleuse : elle s’accorde dignement au souvenir de cet aimable poème. On a loué avec raison le Cantique sur la mort de Mme Broglie ; j’y remarque pourtant des longueurs qui nuisent à l’effet, quelques mots discordans, et surtout un manque de décision dans le sentiment religieux avec lequel il eût fallu aborder cette admirable personne, d’une foi si précise, et dont l’ame présente doit, ce semble, moins que jamais souffrir rien d’évasif à ce sujet. Au nombre des mots que j’appelle discordans on peut noter cette comparaison avec la poule qui gratte… : ceci tient à toute une innovation des plus contestables dans le talent de M. de Lamartine.

Jocelyn ne la laissait encore percer qu’à peine : La Chute d’un Ange y a donné pleine excroissance. Ici l’habitude semble prise. Le public ami du poète en a souffert amèrement. Conçoit-on que, dans une pièce de vers inspirée par un tableau de la Charité, la femme soit décrite avec des traits et des mots qui semblent réservés aux alcôves de nos romans modernes ?

L’odeur de nos soupirs vous parfume les vents ;
et ce second vers de la page 284 que je ne transcrirai pas. Le mot est d’usage en Orient, dira-t-on, peu importe ! En français il offense partout, il révolte presque devant la chaste image de la Charité. Dans sa première manière, dans son plus jeune abandon, M. de Lamartine eût-il jamais proféré cela ? Il avait de tout temps ses défauts, ses inadvertances ; il faisait rimer ciel et soleil, il disait l’une après l’une ; on ne lui demandait qu’à peine de s’en corriger ; la grammaire souffrait plus que l’esprit ; il y avait encore une certaine mesure et comme une harmonie dans ses négligences. Mais ici, c’est d’un autre ordre ; la faute crie ; il sort de ses tons ; grace à ces mots étranges, même sans être de ceux dont parle La Bruyère et qui ont le cœur justement ouvert à la perfection d’un ouvrage, on court risque de remporter désormais un regret mortel des plus belles pages de Lamartine. Tel mot, en effet, suffit pour tout gâter, comme un mauvais son, ou plutôt comme une mauvaise odeur dans un concert. Un poète qui a tant de choses, n’aurait-il donc pas le goût ? N’aurait-il pas ce qui, dans les talens heureux, tient lieu d’ordinaire, en avançant, de la