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LES CÉSARS.

tion était haute. Néron, avec ses goûts de volupté puérile et vulgaire, s’arrangeait fort de la société des valets. Une mère jalouse de dominer, des pédagogues qui lui disputent leur élève, des valets débauchés qui le corrompent, histoire d’écolier ! mais cet écolier de dix-sept ans tenait bien réellement entre ses mains le sceptre du monde, pouvait jouer au besoin avec le poison et l’épée, avec les têtes des sénateurs et l’honneur des nobles Romaines. Aussi, pendant qu’avec des insinuations habiles et polies, Sénèque et Burrhus supplantent Agrippine, que celle-ci s’irrite, se réconcilie, rallie les mécontens, prend en main la cause de Britannicus qu’elle a si cruellement persécuté, Néron tout à coup échappe à la fois à sa mère et à ses maîtres, fait consulter par le centurion même qui la garde la vieille Locuste, que la vertueuse police de Burrhus allait faire étrangler, et qui, sauvée à temps, y gagne l’impunité, de l’argent et des élèves[1] : — école d’empoisonnement fondée par l’empereur ! — Néron demande, non un poison lent, timide, secret, comme celui qu’elle a composé pour Claude, mais un poison actif, prompt, foudroyant. — Je crains peut-être, disait le César enfant à Locuste, je crains peut-être la loi contre les empoisonneurs[2] ? — Britannicus tombe raide mort à la table impériale. Pendant qu’on l’enterre à la hâte, et qu’un peu de pluie, essuyant le plâtre dont Néron lui avait fardé le visage, montre au peuple les taches livides du poison, les deux sages du palais, consternés et gémissans, s’enrichissaient néanmoins des villas de Britannicus.

Britannicus mort, c’était le tour d’Agrippine. Agrippine entourée de haines, de haines féminines surtout, qu’avaient provoquées son orgueil de belle femme et son orgueil d’impératrice, ayant peut-être épuisé, après tant d’infamies, la dernière ressource de l’inceste, se faisait de ses crimes, qu’elle avait commis pour Néron, une force et une défense : son fils la craignait parce qu’il lui avait obéi ; il la tua parce qu’il la craignait. Une femme, Poppée, sera surtout l’auteur de sa mort. La vie de Poppée est pleine d’intrigues : pour le moment mariée[3] à un chevalier romain, Othon la fait divorcer et l’épouse ; Néron l’aime à son tour, envoie Othon gouverner la Lusitanie, et veut la faire divorcer encore[4]. Mais Poppée divorcera-t-elle donc

  1. Suet., Ner., 33.
  2. Forsitan legem Juliam timeo. (id., ibid.)
  3. Agentem in matrimonio Ruf. Crispini. (Ibid.)
  4. Ce fait est raconté un peu diversement par les historiens. — Voir Tacite, XIII, 46. — Hist., 1,3. — Suet., In Ner., 33. — In Oth., 5. — Plutar., In Galbâ.