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Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 18.djvu/862

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l’absence de Néron, parce qu’alors le pain renchérit et les spectacles font relâche ; ils regrettent peu les journées qu’on leur fait perdre sur les bancs du théâtre, ils ne se plaignent pas des larges frumentations au moyen desquelles ils restent les bras croisés sous les portiques ; ils vont de grand cœur, lorsque Néron est enrhumé, faire des sacrifices pour sa voix céleste, dont ils peuvent bien se moquer tout bas ; ils ne gémissent pas d’être, avec toute la population de Rome, organisés, enrégimentés, disciplinés en claque théâtrale pour l’honneur de l’impérial histrion, applaudissant en mesure, criant vivat à point nommé au signal des chefs et sous le fouet des centurions : en tout cela ils ne voient pas la plus légère atteinte à leur dignité.

Cette popularité de Néron fut durable : l’incendie de Rome, qui lui porta un rude coup, ne la détruisit pas tout-à-fait ; elle survécut même à Néron. Fut-il donc un grand prince pour avoir plu aux lazzaroni de son temps, ou son temps fut-il bien misérable d’avoir eu des admirateurs et de la popularité pour Néron ?

Parlons maintenant du sénat. — Ce qu’a été et ce qu’est aujourd’hui même encore la chambre des lords dans la Grande-Bretagne, le sénat le fut dans la république : l’aristocratie constituée en pouvoir légal, le faisceau des anciennes familles fortifié chaque jour par l’étroite et cordiale association des familles nouvelles. Le sénat n’était que par l’aristocratie, et l’aristocratie était par elle-même. Aussi les plus grands démocrates de Rome, Marius et César, ne pensèrent pas à dissoudre le sénat, et j’ai lu de même, dans un écrivain radical, que, si la chambre des lords était supprimée, l’aristocratie y gagnerait en puissance plus qu’elle n’y perdrait.

Au contraire, ce qu’est notre chambre des pairs, un grand et vénérable conseil, non une des forces vives de la nation, le sénat le fut à peu près sous les empereurs. Nulle part, en ce siècle, ne se trouvait une telle réunion de personnes illustres de toutes manières. Les grands noms et les grandes fortunes y étaient de droit ; les vertus, les talens, les renommées, y arrivaient comme sous la république. Mais ce grand corps ne reposait plus sur rien, et n’était plus, pour parler le style d’aujourd’hui, la traduction légale d’un fait réel ; c’était une assemblée d’hommes considérables, et non plus une puissance. Malgré l’antiquité de son nom et ses siècles de souvenir, il n’eut jamais qu’une action médiocre dans les grandes crises ; plus puissant aux affaires qu’aux révolutions, plus fait pour un utile service que pour une résistance hardie. Et si, quant à la valeur morale, il y a une différence infinie entre le sénat de Rome et le nôtre ; si le sénat