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LES CÉSARS.

reste immortalisé par tous. Le peuple dit que Néron n’est pas mort, et, pendant vingt ans, de faux Nérons se montrent entourés de partisans[1] ; son image reparaît aux rostres, des proclamations annoncent son retour avec d’effroyables vengeances, tandis que jusqu’à la fin du IVe siècle, à l’encontre du culte voué à Néron par tous les instincts dépravés de son temps, un grand nombre de chrétiens, l’immortalisant d’une autre façon, croient que, caché dans une retraite mystérieuse, il doit, au dernier jour, reparaître au monde, rétablir le culte des idoles, et accomplir tout ce qui a été prophétisé de l’antechrist[2].

Avec Néron finissait la dynastie des Césars. Il y avait un bois de laurier planté par Livie, où chacun des empereurs venait cueillir des couronnes pour son triomphe, et ajouter un plant nouveau. On remarqua qu’à la mort de chacun d’eux, l’arbre qu’il avait planté mourut aussi, et, peu avant la mort de Néron, le bois tout entier périt. Un coup de tonnerre fit tomber la tête de toutes les statues des empereurs et brisa le sceptre que tenait celle d’Auguste. — Ainsi ces quatre familles, si riches, si nombreuses, si puissantes, des Jules, des Claude, des Domitius, des Agrippa, confondues en une seule (sans parler de tant d’autres qui, liées avec elles, subirent la même fatalité), étaient venues s’user à tenir le sceptre impérial. Ni les lumières de la Grèce qui avait civilisé le monde, ni la puissance de Rome qui se l’était si fortement subordonné, ne les défendirent contre cet accablement presque inévitable de la pensée humaine vis-à-vis d’une position qui est au-dessus de l’homme. Cette dynastie, décimée tour à tour par la tyrannie de son chef, l’ambition de ses membres ou le ressentiment des proscrits, se fit à elle-même une telle guerre, qu’en un demi-siècle, et après avoir donné six maîtres au monde, elle fut épuisée. Dans la généalogie dressée par Juste Lipse, je trouve sur quarante-trois personnes trente-deux morts violentes. On sait quelle fut la fin de tous ces Césars : depuis le coup de poignard de Brutus jusqu’au larmoyant suicide de Néron, nul ne mourut sans un crime, et Auguste même, selon bien des opinions, fut empoisonné par Livie. De ces six princes, après des mariages nombreux et féconds, trois seulement laissèrent une postérité, toujours promptement et misérablement éteinte ; aucun n’eut son fils pour successeur. Le destin que j’ai souvent rappelé de la fille et de la petite-fille

  1. Tacit., Hist., II, 8. — Xiphilin., 64. — Zonar., Annal., II. — Suét. In Ner., 57.
  2. Augustin., De civit. Dei, XX, 19 ; Lactance, De Mortib. persecutorum, rapportent cette opinion, et Sulpice Sévère, Hist., 2, la partage.