Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 18.djvu/884

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
880
REVUE DES DEUX MONDES.

Encore une fois, monsieur, la question n’est pas mûre ; et si Méhémet-Ali, pensant que sa barbe blanche ne lui permet pas d’attendre, voulait prendre l’initiative des hostilités, il en serait empêché par les puissances, même par la Russie. Vous recevrez sans doute en même temps que cette lettre les nouvelles d’Orient. Elles vous apprendront que les consuls-généraux sont venus en corps trouver le pacha à son retour du Delta pour l’exhorter à la paix, et que le consul-général de Russie, M. de Médem, a insisté particulièrement sur une note venue de son gouvernement, par laquelle le pacha est invité à faire retirer ses troupes dans l’intérieur de la Syrie, et à payer le tribut arriéré qu’il doit au grand-seigneur. Cette exhortation est sincère en ce moment, croyez-le bien, même de la part de la Russie, qui n’a pas oublié la note que le pacha présenta, en 1835, aux cours d’Angleterre, de France et d’Autriche, où il proposait à ces trois puissances de mettre sur pied une armée de cent cinquante mille hommes, qu’il tiendrait à leur disposition contre la Russie, si on consentait à reconnaître son indépendance. Ces cabinets se bornèrent à répondre comme vient peut-être de faire la Russie à une proposition analogue, et firent dire au pacha ces paroles, qui reviennent aujourd’hui comme un vieux refrain : « Payez votre tribut, et évacuez Orfa ; » car le pacha se fortifiait alors dans le Diar-Modzar, comme il se fortifie aujourd’hui à Alep, en Syrie.

Nous en sommes donc, et nous en serons encore quelque temps à la question de prépondérance, comme vous le disiez fort bien ; mais vous savez que ce n’est là qu’un état transitoire, et que, dès qu’il y aura une rupture quelque part, il ne sera plus question de prépondérance. On ne fera pas la guerre pour avoir de la prépondérance, mais bien pour avoir du terrain, des ports, des détroits maritimes et des points de défense permanens. Est-ce à dire qu’un petit bout de guerre en Orient allumera aussitôt toute l’Europe, et répandra d’un bout du monde à l’autre un vaste incendie ? Il y a vingt-cinq ans, M. de Metternich avait prédit que l’édifice du congrès de Vienne durerait bien vingt ans, et il y a des gens qui s’étonnent de trouver les prévisions de M. de Metternich en défaut ; mais le chancelier de maison, de cour et d’état de sa Majesté Apostolique a un esprit trop supérieur pour ne pas savoir lui-même que sa prédiction s’est accomplie. Que reste-t-il du monde politique tel que le congrès de Vienne l’avait organisé, s’il vous plaît ? Des rois qui ont changé de peuple, et des peuples qui ont changé de roi, des états qui se sont dissous ou dessoudés, comme vous l’aimerez mieux, d’autres qui se