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REVUE. — CHRONIQUE.

elle n’était faite de manière à pacifier l’Espagne, outre que l’intervention ou la coopération ne comptait plus ni majorité, ni partisans influens en France ; et les choses en restèrent là. M. Dufaure et M. Passy étaient alors les admirateurs exclusifs de M. Thiers, et ils faisaient bien. Ils admirèrent sans doute cette résolution ; mais qu’était-ce, au fond et en résultat, sinon la pensée du 15 avril ?

Plus tard, le cabinet du 22 février crut à la nécessité d’une intervention. M. de Bois-le-Comte, notre envoyé à Madrid, écrivit dans un sens contraire, et insista sur les traités qui n’admettent pas l’intervention. Ainsi, ce cabinet trouvait des sentimens contraires à l’intervention dans ses meilleurs agens. Dans le cabinet même du 22 février se trouvaient des adversaires de l’intervention et de toute espèce de coopération. Les ministres actuels du tiers-parti l’ignorent moins que personne.

Où donc, encore une fois, est cette politique si différente de la politique du 15 avril ? Nous la cherchons en vain. Nous avons dit que les paroles mêmes du cabinet du 15 avril étaient aussi favorables à l’Espagne que les déclamations des ministres actuels. M. Dufaure a dit héroïquement, il y a deux jours « Notre cabinet ne prononce pas le mot jamais. Il agira quand il faudra. » Le cabinet actuel fait bien, en effet, d’éviter le mot jamais, car le chef de ce cabinet a tenu, dans la même semaine, deux langages différens, dans la chambre des pairs et dans la chambre des députés ; ce qui faisait demander spirituellement par M. de la Redorte : « S’il y avait deux Espagnes, comme il y a deux chambres. » Quant aux paroles de M. Dufaure, M. Molé en a dit, avant lui, de semblables. Il disait, dans la séance du 18 janvier 1837 : « Si les chances devenaient favorables au prétendant, à ce point que l’on pût craindre ses succès, je prendrais conseil des circonstances, et je calculerais ce que la France peut mettre d’hommes et d’argent au service d’une cause quelconque. » Dans une autre séance, le 4 janvier 1838, le président du conseil disait « Une fois engagé dans l’intervention, je serais d’avis, plus que personne, d’y employer, s’il fallait réussir, toutes les forces de la France. » Et quelques jours plus tard : « Je ne dis pas qu’en aucun cas nous ne devions aller en Espagne. Pour une détermination pareille, il n’y a que les circonstances à consulter. Et enfin, M. Molé répéta, comme il l’avait déjà dit, contrairement à M. Guizot, que l’arrivée de don Carlos à Madrid serait un malheur immense, et que la France devrait, en pareil cas, user de toutes ses ressources pour le repousser. Nous demandons à M. Dufaure s’il peut raisonnablement placer parmi toutes ces paroles prononcées dans une longue période de temps, le fameux mot jamais, prêté à M. Molé ?

Il faut le dire aux ministres du 12 mai, ce n’est pas en faisant une guerre si puérile à leurs prédécesseurs qu’ils s’élèveront bien haut. Nous voyons bien l’embarras qu’éprouvent à parler à la tribune les ministres actuels, séparés de principes, divisés d’opinion comme ils sont ; mais le besoin de remplir quelques vides dans un discours ne devrait jamais entraîner au-delà des limites de