Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 19.djvu/15

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
11
GABRIEL.

LE PRÉCEPTEUR.

Son éducation a été si chaste, ses pensées sont si pures, une telle ignorance a enveloppé pour lui la vérité d’un voile impénétrable, qu’il ne soupçonne rien, et n’apprendra que de la bouche de votre altesse ce qu’il doit apprendre. — Mais je dois vous prévenir que ce sera un coup bien rude, une douleur bien vive, bien exaltée peut-être… De telles causes devaient amener de tels effets…

LE PRINCE.

Sans doute… cela est bon. — Vous le préparerez par un entretien, ainsi que nous en sommes convenus.

LE PRÉCEPTEUR.

Monseigneur, j’entends le galop d’un cheval… C’est lui. Si vous voulez le voir par cette fenêtre,… il approche.

LE PRINCE, se levant avec vivacité et regardant par la fenêtre en se cachant avec le rideau.

Quoi ! ce jeune homme monté sur un cheval noir, rapide comme la tempête ?

LE PRÉCEPTEUR, avec orgueil.

Oui, monseigneur.

LE PRINCE.

La poussière qu’il soulève me dérobe ses traits… Cette belle chevelure, cette taille élégante… Oui, ce doit être un joli cavalier… bien posé sur son cheval ; de la grace, de l’adresse, de la force même… Eh bien ! va-t-il donc sauter la barrière, ce jeune fou ?

LE PRÉCEPTEUR.

Toujours ! monseigneur.

LE PRINCE.

Bravissimo ! je n’aurais pas fait mieux à vingt-cinq ans. L’abbé, si le reste de l’éducation a aussi bien réussi, je vous en fais mon compliment et je vous en récompenserai de manière à vous satisfaire. — Soyez-en certain. — Maintenant, j’entre dans l’appartement que vous m’avez destiné. Derrière cette cloison, j’entendrai votre entretien avec lui. J’ai besoin d’être préparé moi-même à le voir, de le connaître un peu avant de m’adresser à lui. Je suis ému, je ne vous le cache pas, monsieur l’abbé. Ceci est une circonstance grave dans ma vie et dans celle de cet enfant. Tout va être décidé dans un instant. De sa première impression dépend l’honneur de toute une famille. L’honneur ! mot vide et tout-puissant !…

LE PRÉCEPTEUR.

La victoire vous restera comme toujours, monseigneur. Son ame