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REVUE DES DEUX MONDES.

ASTOLPHE, presse long-temps la main de Gabrielle contre ses lèvres, puis se promène avec agitation.

Je le sais ! Tu es forte, toi ! Nul ne peut blesser en toi la susceptibilité de l’orgueil. Les orages qui bouleversent l’ame d’autrui ne peuvent ternir l’éclat du beau ciel où ta pensée s’épanouit libre et fière ! On chargerait aisément de fers tes bras dont une éducation spartiate n’a pu détruire ni la beauté, ni la faiblesse ; mais ton ame est indépendante comme les oiseaux de l’air, comme les flots de l’Océan, et toutes les forces de l’univers réunies ne la pourraient faire plier, je le sais bien !

GABRIELLE.

Au-dessus de toutes ces forces de la matière, il est une force divine qui m’a toujours enchaînée à toi, c’est l’amour. Mon orgueil ne s’élève pas au-dessus de cette puissance. Tu le sais bien aussi ?

ASTOLPHE, l’arrêtant.

Oh ! cela est vrai, ma bien-aimée ! Mais n’ai-je rien perdu de cet amour sublime qui ne se croyait le droit de me rien refuser ?

GABRIELLE, avec tendresse.

Pourquoi l’aurais-tu perdu ?

ASTOLPHE.

Tu ne t’en souviens pas, cœur généreux, ô vrai cœur d’homme !

(Il la presse dans ses bras.)
GABRIELLE.

Vois, mon ami, tu ne trouves pas de plus grand éloge à me faire que de m’attribuer les qualités de ton sexe, et pourtant tu voudrais souvent me rabaisser à la faiblesse du mien ! Sois donc logique !

ASTOLPHE, l’embrassant.

Sais-je ce que je veux ? Au diable la logique ! Je t’aime avec passion !

GABRIELLE.

Cher Astolphe !

ASTOLPHE, se laissant tomber à ses genoux.

Tu m’aimes donc toujours ?

GABRIELLE.

Tu le sais bien.

ASTOLPHE.

Toujours comme autrefois ?

GABRIELLE.

Non plus comme autrefois, mais autant, mais plus peut-être.

ASTOLPHE.

Pourquoi pas comme autrefois ? Tu ne me refusais rien alors !