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REVUE DES DEUX MONDES.

encore, Gabrielle ? Que ne me méprises-tu ! Tant que tu m’aimeras, je serai exigeant, je serai insensé, car je serai tourmenté de la crainte de te perdre. Je sens que je finirai par là, car je sens le mal que je te fais. Mais je suis entraîné sur une pente fatale. J’aime mieux rouler au bas tout de suite, car, dès que tu me mépriseras, je ne souffrirai plus, je n’existerai plus.

GABRIELLE.

Ô amour ! tu n’es donc pas une religion ? Tu n’as donc ni révélations, ni lois, ni prophètes ? Tu n’as donc pas grandi dans le cœur des hommes avec la science et la liberté ? Tu es donc toujours placé sous l’empire de l’aveugle destinée, sans que nous ayons découvert en nous-mêmes une force, une volonté, une vertu pour lutter contre tes écueils, pour échapper à tes naufrages ? Nous n’obtiendrons donc pas du ciel un divin secours pour te purifier en nous-même, pour t’ennoblir, pour t’élever au-dessus des instincts farouches, pour te préserver de tes propres fureurs, et te faire triompher de tes propres délires ? Il faudra donc qu’éternellement tu succombes dévoré par les flammes que tu exaltes, et que nous changions en poison, par notre orgueil et notre égoïsme, le baume le plus pur et le plus divin qui nous ait été accordé sur la terre ?

ASTOLPHE.

Ah ! mon amie, ton ame exaltée est toujours en proie aux chimères. Tu rêves un amour idéal, comme jadis j’ai rêvé une femme idéale. Mon rêve s’est réalisé, heureux et criminel que je suis ! Mais le tien ne se réalisera pas, ma pauvre Gabrielle ! Tu ne trouveras jamais un cœur digne du tien, jamais tu n’inspireras un amour qui te satisfasse, car jamais culte ne fut digne de ta divinité. Si les hommes ne connaissent point encore le véritable hommage qui plairait à Dieu, comment veux-tu qu’ils trouvent sur la terre ce grain de pur encens dont le parfum n’est point encore monté vers le ciel ? Descends donc de l’empyrée où tu égares ton vol audacieux, et prends patience sous le joug de la vie. Élève tes désirs vers Dieu seul, ou consens à être aimée comme une mortelle. Jamais tu ne rencontreras un amant qui ne soit pas jaloux de toi, c’est-à-dire avare de toi, méfiant, tourmenté, injuste, despotique.

GABRIELLE.

Crois-tu que je rêve l’amour dans une autre ame que la tienne ?

ASTOLPHE.

Tu le devrais, tu le pourrais, c’est ce qui justifie ma jalousie et la rend moins outrageante.