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REVUE DES DEUX MONDES.

propres argumens… Je sais bien pourquoi vous voulez détourner la conversation…

LE PRÉCEPTEUR.

Je ne vous comprends pas.

GABRIEL.

Oui-dà ! vous souvenez-vous de ce ruisseau que vous ne vouliez pas passer parce que le pont de branches entrelacées ne tenait presque plus à rien ? et moi j’étais au milieu, pourtant ! vous ne voulûtes pas quitter la rive, et à votre prière je revins sur mes pas. Vous aviez donc peur ?

LE PRÉCEPTEUR.

Je ne me rappelle pas cela.

GABRIEL.

Oh ! que si !

LE PRÉCEPTEUR.

J’avais peur pour vous, sans doute.

GABRIEL.

Non ! puisque j’étais déjà à moitié passé. Il y avait autant de danger pour moi à revenir qu’à continuer.

LE PRÉCEPTEUR.

Et vous en voulez conclure…

GABRIEL.

Que, puisque moi, enfant de dix ans, n’ayant pas conscience du danger, j’étais plus téméraire que vous, homme sage et prévoyant, il en résulte que la bravoure absolue n’est pas le partage exclusif de l’homme, mais plutôt celui de l’enfant, et, qui sait ? peut-être aussi celui de la femme.

LE PRÉCEPTEUR.

Où avez-vous pris toutes ces idées ? Jamais je ne vous ai vu si raisonneur.

GABRIEL.

Oh, bien oui ! je ne vous dis pas tout ce qui me passe par la tête.

LE PRÉCEPTEUR, inquiet.

Quoi donc, par exemple ?

GABRIEL.

Bah ! je ne sais quoi ! je me sens aujourd’hui dans une disposition singulière. J’ai envie de me moquer de tout.

LE PRÉCEPTEUR.

Et qui vous a mis ainsi en gaieté ?