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Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 19.djvu/199

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DE L’INDUSTRIE LINIÈRE.

en lin. Le produit brut de cette culture peut s’estimer à 175,000,000 fr. ; savoir, 144 millions pour la valeur des tiges, et 31 millions pour les graines ; à quoi les travaux agricoles, c’est-à-dire les préparations dont les cultivateurs se chargent, telles, par exemple, que le rouissage et le teillage, travaux qui sont à peu près les mêmes pour les deux plantes, ajoutent une valeur de 115,000,000 fr. On suppose, en outre, et ici l’évaluation nous paraît trop modérée, que l’industrie par la filature et le tissage triple la valeur des matières brutes, et procure ainsi environ 300 millions de main d’œuvre, outre les 115 millions de travaux agricoles. En réunissant ces chiffres, on arrive à un total de 590 millions ; et encore a-t-on négligé d’y comprendre certaines fabrications accessoires qui s’exécutent dans les campagnes.

Il faut le dire, cette grande industrie languissait en France depuis vingt ans à côté de l’industrie cotonnière qui s’étendait de jour en jour. La consommation du coton s’est accrue parmi nous depuis l’empire avec une grande rapidité. Dans les vingt dernières années surtout, le coton a été appliqué à tous les usages qui autrefois réclamaient le fil de lin. Il s’est emparé de tous les genres de tissus, depuis la dentelle jusqu’à la toile à voiles. On fait aujourd’hui, avec du coton, pour 3 fr. 50 c. de gros linons pour modes qu’on ne peut établir en lin qu’à 9 ou 10 francs. Dans tout l’arrondissement de Saint-Quentin, arrondissement si manufacturier, la fabrication des batistes a été remplacée par celle des jaconas, qui les imitent. Partout les tissus de coton ont chassé les tissus de lin ; et cela devait être, puisqu’on substituait une matière qui, dans l’Inde, vaut 3 sous la livre, et qui se filait à la mécanique, à une matière qui vaut chez nous 20 sous la livre, et que l’on filait à la quenouille. L’industrie linière était donc fort loin d’être en progrès. Cependant elle se soutenait encore tant bien que mal, grace à d’anciennes habitudes prises et à la supériorité réelle de ses produits. Mais l’importation des fils et des tissus anglais similaires est venue lui porter dans ces dernières années un coup plus direct et plus sensible.

Nous avons dit que c’était vers 1830 que la filature anglaise avait commencé à sentir le besoin d’exporter ses produits : c’est dans le même temps que l’importation a commencé à se faire sentir en France. Jusque-là, la France n’avait guère tiré de fils que de la Belgique, de la Prusse et de quelques autres parties de l’Allemagne ; mais la moyenne de ces importations, prise sur treize années à partir de 1825, ne s’élevait guère, pour la Belgique, qu’à 748,000 kilogr., pour la Prusse à 70,000, et pour le reste de l’Allemagne à 163,000 ; quantités peu considérables relativement à la consommation totale, qui étaient d’ailleurs à peu près uniformes, et qu’on était accoutumé à recevoir depuis long temps. Au contraire, du jour où l’importation anglaise commença, elle s’accrut suivant une progression rapide, et elle ne tarda pas à surpasser de beaucoup celle de tous les autres pays réunis. On en jugera par le tableau suivant.