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DE L’INDUSTRIE LINIÈRE.

progrès, ce juste sentiment d’appréciation qui fait estimer les choses à leur valeur, de quelque endroit qu’elles viennent, voilà ce qui manque surtout à nos fabricans pour les placer à la hauteur de leur tâche. Du jour où ils auront acquis ces qualités précieuses, il ne leur restera plus rien à envier à leurs rivaux.

Il ne faut pourtant pas se flatter que notre industrie linière puisse dès-lors soutenir une lutte corps à corps avec l’industrie anglaise. Les circonstances au milieu desquelles ces deux industries se meuvent sont trop différentes pour qu’un semblable rapprochement soit permis. À les considérer en elles-mêmes, comme nous venons de le faire, peut-être que leurs forces sont pareilles, puisque l’infériorité qui existe encore sur certains points est déjà compensée par une supériorité acquise sur quelques autres ; mais il n’en est plus ainsi quand on considère les faits extérieurs dont elles dépendent, et la situation respective des deux pays. Égales en puissance virtuelle, ces deux industries n’ont pas les mêmes facilités pour se produire ; elles ne trouvent pas les mêmes garanties dans les lois ; elles ont à lutter contre des obstacles d’un autre ordre, avec des ressources fort inégales pour les vaincre ; et, dans ce sens, on est obligé de reconnaître que tous les avantages sont pour les fabricans anglais, tous les désavantages contre les nôtres. Voilà pourquoi l’intervention du pouvoir est nécessaire. Nos industriels ont fait à peu près ce qui dépendait d’eux ; c’est maintenant au gouvernement de faire le reste.

C’est un fait constant, que toutes les matières que nos manufacturiers emploient, et tous les agens qu’ils font mouvoir, leur coûtent beaucoup plus cher qu’aux fabricans anglais : désavantage qu’ils peuvent attribuer encore plus à notre régime économique qu’à la situation propre et naturelle du pays. La différence ne porte pas sur tel ou tel objet en particulier, elle s’étend indistinctement sur tous : sur la matière première, le lin ; sur la machine à vapeur qui sert de moteur à l’établissement, et plus encore sur le charbon que cette machine consomme ; sur les machines que l’on emploie pour la filature et sur l’entretien de ces machines ; sur le fer dont on fait usage pour les divers besoins de la fabrique ; sur l’huile, le suif et l’éclairage, et enfin sur les capitaux. Une seule chose semble coûter moins en France qu’en Angleterre, c’est la main d’œuvre ; mais, outre que cet avantage n’est pas universel, et que dans certaines de nos provinces, qui sont les plus propres à la filature du lin, comme le département du Nord, par exemple, la main d’œuvre est au même prix que dans certaines parties de l’Angleterre où cette même filature est établie, on peut dire que cet avantage est déjà compensé par la différence considérable dans l’abondance et dans le prix des capitaux. Les autres causes d’infériorité restent donc sans dédommagement, et, pour en faire sentir la gravité, il nous suffira d’établir la comparaison sur quelques points principaux.

Nous avons déjà dit que le lin abonde en France, mais qu’il n’y est pas à bon marché. En effet, telle qualité commune de lin de Russie ressort pour les fabricans anglais à 90 francs les 100 kilog. rendus en Angleterre, tandis qu’elle coûte en France, sur les lieux même de production, 110 francs. Les