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Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 19.djvu/242

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REVUE DES DEUX MONDES.

pas à la dépense, quand il s’agit de s’embouquiner d’un in-folio de plus, sauf à coucher avec lui s’il ne reste pas d’autre place, comme feu mon ami M. Pillet. Il n’est pas un de ces honorables personnages qui ne soit enchanté de posséder identiquement le Décaméron de Valdarfer, au même prix que M. le duc de Marlborough. Total, trois cents millions, c’est un assez joli denier. Je ne parle pas des frais de tirage et de papier, qui sont une pure bagatelle indigne d’être portée en compte dans une affaire de cette importance.

Ou bien, si vous voulez simplifier l’opération, faites mieux. Je suppose que vous avez un billet de mille francs, cela se trouve journellement dans le portefeuille d’un savant ; prenez votre billet de mille francs, imprégnez votre billet de mille francs de matière chimique, et tirez à un million. Il ne faut regarder ni à la valeur des pierres (on en trouve maintenant à Montmartre), ni à celle du papier serpente lithographique (on en fait aujourd’hui avec des orties). En vingt-quatre heures, vous avez un milliard, et vous l’envoyez à la caisse d’épargne ; le sage met toujours quelque chose de côté pour sa vieillesse.

Tels sont, monsieur, les résultats infaillibles de cette sublime découverte qui fait pâmer de joie tous les adeptes du progrès. L’imprimerie et la gravure ont vécu ; elles sont enfoncées comme Racine. Elzevir est une perruque, et Marc-Antoine un polisson. Nous attendons incessamment l’ordonnance qui envoie la bibliothèque du roi au vieux papier.

« Arrêtez ! me direz-vous ; cette prétendue découverte est absurde et infâme : absurde, parce que son usage apparent n’aura jamais que des résultats ridicules ; infâme, parce que son usage illicite peut entraîner les plus grands dangers. Ce qu’elle mérite d’un gouvernement intelligent, c’est une répression rigoureuse, ou du moins une exacte surveillance. Malédiction sur vos livres litho-typographiés, et honte éternelle aux sots qui les regarderont comme des livres. Votre litho-typographie est l’abomination de la désolation dans la grande Sion de la civilisation !… »

Eh ! mon Dieu, monsieur Old-Book, ne vous emportez pas ! je ne suis pas si éloigné de votre opinion que vous l’imaginez, et j’allais dire à peu près ce que vous dites, en me servant de termes plus modérés. La litho-typographie a des inconvéniens sensibles qui la dénoncent au commerce, à la diplomatie, à la justice, mais elle ne peut rien aux innocens plaisirs des bibliophiles. Elle ne mérite pas leur colère.

Il y a deux espèces de livres rares : premièrement, ceux qui sont