Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 19.djvu/282

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
278
REVUE DES DEUX MONDES.

virement et de temporisation qui ne permet pas d’attendre un appui durable ou même momentané de sa part. Pour la troisième, la Turquie, il s’agit de plus encore, il s’agit de l’arracher à une protection qui lui est imposée les armes à la main, et que lui commande de subir un traité qui l’engage deux ans encore. Ajoutons que la lutte où la France trouve des auxiliaires si peu déterminés ou si peu sûrs, aura lieu contre la Russie, qui a pour elle le voisinage, l’activité, l’intelligence et les moyens de corruption ou de séduction qui sont presque toujours infaillibles en Orient. Et c’est quand elle a le poids d’une telle obligation contractée par la France vis-à-vis d’elle-même, commandée par les nécessités les plus pressantes, que la direction des affaires étrangères se trouve, en quelque sorte, dans un état d’impossibilité réelle ! L’Angleterre sait bien ce qu’elle fait quand elle se félicite de l’attitude de la France en cette circonstance ; elle ne peut penser, en effet, que nous cherchions à l’effacer.

Quant à la partie immédiate, et en quelque sorte plus matérielle de la mission de la France en Orient, nous ne doutons pas qu’on ne parvienne à l’accomplir, quelques difficultés qu’elle semble offrir en ce moment. L’état maladif, peut-être désespéré du sultan, est même loin d’être une circonstance aggravante. La disparition d’un prince dont le caractère servait de contrepoids en Orient à celui du pacha d’Égypte, serait assurément fatale à la Turquie ; mais les puissances européennes trouveraient plus facilement des moyens de pacification auprès du successeur du sultan, jeune prince qui n’aurait pas passé, comme son père, par toutes les phases de la lutte qui a lieu depuis plusieurs années entre la Porte et son vassal. On parle de l’accord parfait des trois principales puissances, et même de la Russie, pour maintenir l’état des choses et arrêter les progrès de la guerre. C’est encore un point qui ne nous semble pas douteux pour le moment, et c’est dans la conviction que cet accord momentané existe, que nous croyons à l’efficacité des dispositions de la France. Autrement, nous ne verrions pas comment elle pourrait jeter le rameau de la paix entre les deux adversaires, et empêcher les flottes turque et égyptienne de se rejoindre dans la Méditerranée, comme les armées turque et égyptienne se sont déjà rejointes dans la Syrie. Un simple coup d’œil jeté sur les forces navales des différens états contendans ou pacificateurs en dira plus que toutes nos paroles. Nous ne connaissons pas le nombre et la nature des vaisseaux que l’Autriche peut mettre en ligne dans ces parages ; et pour l’Angleterre, on sait que sa principale escadre, commandée par l’amiral Stopford, est restée jusqu’à ces derniers jours paisiblement à Malte, et semble avoir ordre de ne pas apporter trop d’influence dans cette opération pacifique. Quant aux autres puissances, voici un dénombrement des forces dont elles disposent dans les mers du Levant.

L’escadre turque, partie pour Gallipoli le 17 juin, se composait de deux divisions réunies, formant ensemble vingt-six voiles. En voici le détail : un vaisseau de 140 canons, un de 110, six vaisseaux de 74 à 90 canons, deux frégates de 72, huit frégates de 50 à 60, quatre bricks, deux schooners, plus deux bateaux, à vapeur. Cette flotte porte huit ou dix mille hommes de troupes