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LES ÎLES SANDWICH.

avait qu’une seule pièce dans chaque maison ; c’était à la fois la salle à manger, le salon et la chambre à coucher ; aujourd’hui les missionnaires sont parvenus à obtenir qu’il y eût des séparations, et on emploie presque toujours, dans ce but, de larges rideaux d’étoffe du pays ou d’indiennes anglaises. Ces séparations forment les chambres à coucher. Le lit est composé d’une grande quantité de nattes, disposées les unes sur les autres, de manière à former une estrade ; les plus grossières sont placées en dessous ; c’est là que trône le chef mâle ou femelle. Cette place est tabou (prohibée) pour tout le monde.

Auprès de la maison de Kapiolani est le tombeau de son mari, assez vaste édifice en pierre, et recouvert d’un toit de planches. L’époux de Kapiolani était un chef puissant et très riche ; mais, à sa mort, un fils qu’il avait eu de sa première femme enleva à Kapiolani presque tout ce qu’elle tenait de lui, et elle est aujourd’hui presque pauvre.

Quelques calebasses pour faire et pour manger le poë, pâte fermentée faite avec la racine du taro, un ou deux plumeaux, quelquefois un filet et des pagayes, voilà tout l’ameublement d’une maison de Hawaii. La nourriture des insulaires consiste principalement en poisson légèrement salé et très souvent cru, et en poë. Je voulus goûter de cette pâte, mais elle me parut détestable ; elle a la couleur et la consistance de l’amidon, et un goût acide très prononcé. À Ke-ara-Kakoua, on ne mange jamais de viande de boucherie. Quelques volailles, des cochons, du lait, des cocos, quelques fruits, voilà pour les Européens toutes les ressources de la vie animale.

L’importation des liqueurs fortes est prohibée à Owhyhee : nous pûmes voir, cependant, que les insulaires ne sont pas encore guéris de cette passion des spiritueux qu’on a remarquée chez presque toutes les nations sauvages. Les femmes même ouvraient la bouche avec avidité pour recevoir l’eau-de-vie que nous leur versions. En général, la crainte des châtimens, et non la conviction, empêche les insulaires de se livrer à toutes leurs anciennes habitudes ; chaque fois que l’occasion se présente de secouer le joug qui leur a été imposé, ils la saisissent avec ardeur. Il y a quatre ou cinq mois, Kauikeaouli, roi des Îles Sandwich, vint faire une tournée à Owhyhee ; il amena une partie de sa cour, et se livra, nous dit-on, à des excès auxquels prirent part non-seulement les personnes qui l’accompagnaient, mais encore toute la population de Ke-ara-Kakoua. Ni Kapiolani, ni M. Forbes, n’osèrent faire la moindre remontrance ; ils attendirent impatiemment dans leurs maisons que le pays fût délivré de la présence des impies.

Nous eûmes, pendant notre séjour à Ke-ara-Kakoua, la visite de Kouakini, gouverneur d’Owhyhee et l’un des principaux chefs des îles Sandwich ; il réside à Kai-Loua, et est également connu sous le nom de John Adams. Il vint nous voir à bord. Nous le vîmes arriver de loin sur sa double pirogue, conduite par une vingtaine de robustes Indiens. C’est un homme de six pieds trois pouces ; il était vêtu plus que simplement : une veste de printanière bleue, un pantalon de toile grise, des souliers sans bas et un chapeau de paille composaient tout son accoutrement. On eut soin de nous dire toutefois qu’il