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LES ÎLES SANDWICH.

cubinage avec elle, sa naissance étant trop obscure pour qu’il puisse en faire sa compagne légitime.

Nous eûmes, l’avant-veille de notre départ, un spectacle tout-à-fait exotique à la résidence de M. Charlton ; ce fut une danse d’Indiens de la côte nord-ouest d’Amérique. Un des navires qui font le commerce entre cette côte et les îles Sandwich se trouvait dans le port, ayant à bord une vingtaine de ces indiens. Le consignataire eut la complaisance de les faire habiller dans le costume de leur pays, et le soir, à la lueur des torches de ku-kuy, ils nous donnèrent une représentation de leurs danses guerrières et religieuses. Ce fut bien certainement ce que nous vîmes de plus sauvage aux îles Sandwich. Ces figures bizarrement peintes de vermillon, ces plumes passées dans les lèvres et la cloison du nez, le costume, les cris, les poses, les gestes, tout était bien combiné pour nous donner une idée d’une danse de sauvages ; mais ces pauvres gens, habitués à une température extraordinairement froide, par 50 et 55 degrés de latitude, nous parurent souffrir horriblement de la chaleur, et nous nous empressâmes de demander grace pour eux.

On compte déjà quatre à cinq cents Européens résidant à Honolulu, tandis qu’il n’y en a qu’un ou deux à Ke-ara-Kakoua. Presque tous les hommes de la classe élevée sont Américains, le commerce des îles Sandwich étant presque exclusivement fait par cette nation. Mais les ouvriers, les artisans appartiennent généralement à la nation anglaise. Nous reçûmes partout l’accueil le plus cordial, et tout le monde s’empressa de nous fêter. Pendant tout le temps de notre séjour à Honolulu, il se passa rarement un jour sans que nous eussions, dans une maison ou dans une autre, une soirée dansante et musicale ; il est vrai que les passagers et officiers de la corvette en faisaient ordinairement presque tous les frais, comme danseurs et musiciens. Mais c’était là beaucoup plus que ce que nous devions nous attendre à rencontrer dans une ville des îles Sandwich. Parmi toutes ces personnes, dont nous conserverons le souvenir, je mentionnerai la famille de M. Charlton, consul d’Angleterre, dont la franche hospitalité m’a rendu le séjour d’Honolulu infiniment agréable et qui m’a fourni une foule de renseignemens intéressans, — et don Francisco Marini. M. Marini est arrivé aux îles Sandwich il y a environ quarante ans ; il s’attacha à la fortune de Tamea-Mea, et l’accompagna dans les longues guerres que celui-ci eut à soutenir, en poursuivant ses conquêtes. Il nous parla beaucoup des blessures qu’il avait reçues, et de la grande valeur qu’il avait déployée dans les divers combats auxquels il prit part. On nous raconta quelques aventures singulières qu’on nous dit lui être arrivées.

Tamea-Mea tomba un jour dangereusement malade. Un Français, nommé Rives, était son médecin. Je ne sais si le grand roi avait reçu quelque communication semblable à celle qui fournit à Alexandre l’occasion de donner une si belle preuve de confiance à son médecin, ou si Tamea-Mea n’avait pas une grande foi dans le talent de son Esculape. Toujours est-il qu’il lui ordonna de préparer ses remèdes en double potion, avec injonction à Marini de boire devant lui une de ces potions, et ce n’était que lorsqu’il avait vu l’effet produit