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LE SCHAH-NAMEH.

par une de ces confusions que la tradition se permet volontiers, le château d’Hamaveran, qui devait être fort loin de là, uniquement peut-être parce que la conquête du Hamaveran vient, dans le Livre des Rois, tout de suite après celle du Mazenderan. Ailleurs, de grands blocs de pierre passent pour être de gigantesques vestiges que le chameau de Rustem a laissés derrière lui en traversant le désert. On appelle sculptures de Rustem des figures gravées sur le roc dans les environs de Persépolis, bien qu’elles ne remontent pas plus haut que les Sassanides. Une vallée du Seistan, patrie de Rustem, porte encore le nom de son fils Zohrab. Cette province, aujourd’hui peu habitée, montre des restes frappans d’une ancienne splendeur. On y trouve d’immenses ruines. Celles qu’on voit près d’Ielalabad, couvrent un aussi grand espace de terrain que la ville d’Ispahan[1]. Ce sont là les traces imposantes de cette dynastie du Seistan personnifiée dans Rustem. D’autres monumens encore, au nombre desquels était une digue, furent détruits au temps de Tamerlan ; la capitale du pays fut saccagée, et alors, disent les historiens persans, il s’éleva un cri qui se répandit à travers le Seistan et qui évoquait ainsi l’ombre de Rustem : « Lève ta tête hors de ton sépulcre, et vois l’Iran tout entier aux mains de ton ennemi, aux mains des guerriers de Touran. » Bien plus, dans les dernières guerres, les exploits de Rustem étaient encore chantés avant l’action, comme la bataille de Ronceveaux l’était sous le roi Jean. Dans ce siècle, Malcolm trouva à Buschir un pauvre Arabe qui connaissait l’histoire de Zohak et savait le nom du Schah-Nameh de Firdousi. Sur la route de Schiras à Persépolis, un palefrenier, attaché à l’ambassadeur, récita tout en marchant un fragment du Livre des Rois[2]. Un autre jour, un personnage distingué de l’escorte en fit autant. Tous les assistans écoutaient ravis, car chaque parole de Firdousi est, pour un Persan, un article de foi. Un voyageur français actuellement en Perse, M. Eugène Boré, écrit que l’envoi de la traduction de M. Mohl serait reçu avec reconnaissance par le roi régnant. Il n’y a pas d’autre exemple aujourd’hui d’un poète qui fasse les délices des lettrés et des princes, et que sachent par cœur les palefreniers.

Partout où un poème national a obtenu une grande vogue, il s’en est produit d’autres à son imitation. On a voulu compléter le récit principal par des récits accessoires, joindre à l’histoire des person-

  1. Ritter, Géographie, t. VIII, pag. 152.
  2. Sketches of Persia, vol. I, pag. 204-219.