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charmant en fille ; la Faustina ne l’a pas vu, elle y sera prise, et toutes en crèveront de jalousie. — Il a eu pourtant bien de la peine à se décider à cette folie. Cher Gabriel ! c’est moi qui suis un enfant, et lui un homme, un sage, plein d’indulgence et de dévouement ! (Il se frotte les mains.) Ah ! je vais me divertir aux dépens de la Faustina ! Mais quelle impudente créature ! Antonio la semaine dernière, Menrique aujourd’hui ! Comme les pas de la femme sont rapides dans la carrière du vice ! Nous autres, nous savons, nous pouvons toujours nous arrêter ; mais elles, rien ne les retient sur cette pente fatale, et quand nous croyons la leur faire remonter, nous ne faisons que hâter leur chute au fond de l’abîme. Mes compagnons ont raison, moi qui passe pour le plus mauvais sujet de la ville, je suis le moins roué de tous. — J’ai des instincts de sentimentalité, je rêve des amours romanesques, et quand je presse dans mes bras une vile créature, je voudrais m’imaginer que je l’aime. — Antonio a dû bien se moquer de moi avec cette misérable folle ! — J’aurais dû la retenir ce soir, et m’en aller avec Gabriel déguisé et avec elle, en chantant le couplet deux femmes valent mieux qu’une. J’aurais donné du dépit à Antonio par Faustina, à Faustina par Gabriel… Allons ! il est peut-être temps encore… Elle a menti, elle n’aurait pas osé aller trouver ainsi Menrique… Elle n’est pas si effrontée ! — En attendant que Gabriel ait fini de se déguiser, je puis courir chez elle, c’est tout près d’ici. (Il s’enveloppe de son manteau.) Une femme peut-elle descendre assez bas pour n’être plus pour nous qu’un objet dont notre vanité fait parade comme d’un meuble ou d’un habit ! (Il sort.)


Scène III.


GABRIEL, en habit de femme très élégant, sort lentement de sa chambre. PÉRINNE le suit d’un air curieux et avide.
GABRIEL.

C’est assez, dame Périnne, je n’ai plus besoin de vous. Voici pour la peine que vous avez prise. (Il lui donne de l’argent.)

PÉRINNE.

Monseigneur, c’est trop de bonté. Votre seigneurie plaira à toutes les femmes, jeunes et vieilles, riches et pauvres ; car, outre que le ciel a tout fait pour elle, elle est d’une magnificence…

GABRIEL.

C’est bien, c’est bien, dame Périnne. Bonsoir !