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Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 19.djvu/558

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REVUE DES DEUX MONDES.

par an. Mais M. de Villeneuve, qui a administré le département du Nord, a déclaré qu’une famille d’artisans ne pourrait pas vivre à Lille, si le total annuel du salaire demeurait au-dessous de 1051 fr. ; et M. de La Farelle élève le budget d’une famille de taffetassiers, à Nîmes, à 1116 francs 60 centimes. Les deux tiers de ces diverses sommes sont, dit-on, suffisans pour les familles établies à la campagne. La dépense annuelle d’un soldat d’infanterie est évaluée, en France, à 334 fr. 62 c. ou 92 c. par jour ; la journée du malade, dans les hôpitaux de Paris, coûte en moyenne 1 fr.c. Enfin, des philantropes ont admis une formule générale pour évaluer les consommations de première nécessité. La valeur de quatre livres de pain de froment, ou de six livres de pain de seigle, représente, selon eux, la somme nécessaire aux besoins journaliers d’un pauvre, dans les régions renfermées entre les 45e et 55e degrés de latitude. À ce compte, 65 à 75 cent. par jour suffiraient, à Paris, pour un homme adulte ; la dépense de la femme répondrait aux deux tiers, et celle de chaque enfant, à la moitié. Il ne faut pas oublier toutefois que ces évaluations ne comprennent que les objets indispensables, et que la surcharge d’un enfant, une maladie, une dépense imprévue, un temps d’arrêt dans les travaux, font aussitôt tomber la famille réputée indépendante à l’état d’indigence. Nous reproduisons ces aperçus sans leur accorder la moindre importance. En condamnant le pauvre aux plus douloureuses privations, en comprimant tous ses désirs, on peut abaisser à volonté le minimum du nécessaire. Une famille, réduite au budget que nous venons de présenter, vivrait sans doute ; mais le but que doit se proposer une administration paternelle serait-il atteint ? N’est-ce pas rendre un triste service à celui qui souffre que de prolonger son existence, si l’on ne parvient pas à la lui faire aimer ?

La statistique, qui depuis quelques années a si fort compromis la vieille autorité des chiffres, n’est jamais plus incertaine que lorsqu’elle prétend indiquer la prospérité relative des états par le nombre de leurs indigens. Cette remarque ne pouvait pas échapper à la sagacité de M. de Gérando, et elle le conduit à un aveu qu’il ne fait pas sans regret. « L’espérance d’obtenir une statistique de l’indigence, digne de ce nom, est, nous dit-il, une illusion dans l’état présent des choses. » La statistique, on le conçoit, ne peut pas donner la mesure des souffrances réelles, mais seulement indiquer le nombre des personnes qui réclament l’assistance publique. En ne lui demandant pas même autre chose, il faudrait encore, pour que les chiffres devinssent significatifs, que les conditions de l’indigence fussent les mêmes partout. Or, elles sont au contraire tellement incertaines, qu’elles varient, nous ne dirons pas d’une nation à l’autre, mais entre les divers quartiers d’une ville, et qu’un individu, admis au secours dans le deuxième arrondissement de Paris, serait considéré dans le douzième comme au-dessus du besoin. Il faudrait encore que, dans chaque pays, l’administration dressât le relevé des assistés, d’après une même méthode, et avec une exactitude parfaitement égale. Aucune de ces conditions n’est remplie. De là, des résultats si monstrueusement contradictoires, qu’il devient assez piquant de mettre les statisticiens en présence. Il y aurait, en