Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 19.djvu/668

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
664
REVUE DES DEUX MONDES.

ils conservèrent la ressemblance des masques. Hermogène, dans ses Partitions oratoires, rapporte, comme modèle de discussion, le débat élevé entre un particulier et un poète à l’occasion d’un outrage de ce genre. Le plaignant, quoiqu’il n’eût pas été nommé, invoquait la loi, prétendant fort justement que présenter le portrait d’un citoyen dans une comédie[1], c’était le nommer. Le poète répondait que le législateur n’avait pas prétendu interdire à la comédie le blâme public ; la loi, en supprimant l’usage des noms propres, n’avait voulu qu’empêcher le souvenir des outrages de se perpétuer. Or, l’offense causée par la ressemblance des masques ne survit pas à la représentation[2]. Quoi qu’il en soit, cette sorte d’infraction ne paraît pas avoir été très fréquente, et ne constitue pas, comme on l’a dit, le principal caractère de la comédie moyenne. Loin de là ; les masques, dès-lors, commencèrent à devenir simplement risibles et grotesques[3]. Mais ce qui étonne le plus, et ce dont il existe pourtant beaucoup de preuves, c’est la persistance obstinée des attaques nominales. Le chœur, il est vrai, ne tient, dans les Harangueuses et dans le Plutus d’Aristophane, qu’une place fort secondaire, et la parabase surtout n’y est plus que l’ombre d’elle-même. Entre ces dernières pièces et les premières du même auteur, on sent qu’une révolution a passé sur le théâtre comme sur l’état. Sans doute, ce qui domine dans les fragmens comiques de cette époque, ce sont les bouffonneries mythologiques et les parodies littéraires : mais à un reste de couleur politique encore fortement empreinte dans le Plutus et les Harangueuses, ainsi que dans les fragmens d’Antiphane, d’Alexis, d’Eubulus, et des autres comiques contemporains ; surtout à l’audace incorrigible d’un grand nombre de railleries, qui tombent la plupart encore sur des hommes d’état et des démagogues, on reste convaincu que la censure théâtrale n’a pas pesé sur ces ouvrages.

Elle n’a pas eu plus d’action sur la comédie nouvelle, c’est-à-dire sur la comédie grecque pendant la domination macédonienne. Alors aux portraits vivans de l’ancienne comédie et aux demi-personnalités de la comédie moyenne, Ménandre substitua la peinture générale et abstraite des passions et des ridicules de l’espèce humaine. Les auteurs de ce genre nouveau durent s’efforcer d’être vrais en évitant d’être réels : intrigues et caractères, tout dut être à la fois vraisem-

  1. Hermogen., sect. XIII, pag. 75, seqq. Genevæ, 1614.
  2. id., ibid., pag. 76.
  3. Platon., De Diff. comœd., pag. XXXV, 20.