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mots : Tu n’es grand que pour notre malheur ! Tout l’auditoire se récria aussi à cet endroit : Tu te repentiras d’avoir été trop puissant… et le reste du morceau, car ces vers semblent composés exprès par un ennemi de Pompée. Enfin, de grands cris accueillirent ce passage : Si tu violes les lois et les mœurs, etc.[1]. »

C’est, je crois, de ces allusions avidement saisies par la multitude, qu’il s’agit dans le Dialogue des orateurs. L’auteur, quel qu’il soit, de ce traité, regrettant l’époque où la tribune retentissait chaque jour de débats politiques, et où l’on n’épargnait ni un Scipion, ni un Sylla, ni un Pompée, ajoute : « Alors les histrions, qui connaissent bien la nature de l’envie, se servaient des oreilles du peuple pour adresser l’outrage aux premiers hommes de la république[2]… » Mais il faut remarquer que l’auteur parle ici des histrions et non des poètes. Jamais ces derniers n’attaquèrent à Rome les personnages éminens, comme le prouverait au besoin le beau morceau de la République[3], où Cicéron compare la licence de la comédie grecque à la retenue du théâtre romain. Je ne crois pas, en effet, que, pendant les six premiers siècles de Rome, personne autre que Nœvius ait eu la pensée d’insulter au théâtre Scipion, Métellus, Sylla ou Pompée, si ce n’est par voie d’allusion[4].

Cicéron, déjà fugitif et près de la catastrophe qui termina ses jours, transmet à Atticus la nouvelle qu’il reçoit des applaudissemens prodigués à Rome à quelques passages énergiques du Térée d’Accius, et se plaint avec amertume de ce que le peuple romain n’emploie ses mains que pour applaudir, et non plus pour défendre sa liberté[5]. Dans le discours pour Sextius, ce grand homme, qui oubliait trop rarement ce qui intéressait sa vanité, raconte avec beaucoup de complaisance les acclamations, les applaudissemens, les larmes même, que le grand tragédien Ésopus, son ami, excita sur son exil dans une pièce[6] que l’on croit avoir été le Telamon exul.

  1. Cicer., Ad Attic., lib. II, epist. 19. — Valère-Maxime (lib. VI, cap. II, § 9) suppose à tort Pompée présent à cette représentation ; il était à Capoue. Cicer., loc. laud.
  2. Quintill. vel Tacit., De oratorib., cap. XI.
  3. Cicer., De republ., lib. IV, cap. X, ap. August., De civit. Dei, lib. II, cap. IX.
  4. Les allusions aux affaires publiques étaient aussi très vivement senties par les Athéniens. Dans une reprise du Palamède d’Euripide, le passage suivant, qui semblait reprocher aux Athéniens la mort de Socrate, causa une vive et universelle émotion : « Vous avez ravi le jour au plus grand des sages, etc. » — V. Diog. Laert., Socrat.Argum., In Isocrat. orat. in Busir., et Valck., Diatrib., pag. 191, A.
  5. Cicer., Ad Attic., lib. XVI, epist. 2.
  6. id., Pro Sext., cap. LV-LVIII.