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Mais ces avertissemens donnés, ces précautions prises, et profitant de cette audace qu’appuie la nécessité même, et de cette inspiration âpre et libre d’une vie de plus en plus dégagée, on est en position et en droit de dire le vrai comme on l’entend sur un ensemble dont l’impression n’est pas douteuse, dont le résultat révolte et crie de plus en plus. L’état actuel de la presse quotidienne, en ce qui concerne la littérature, est, pour trancher le mot, désastreux. Aucune idée morale n’étant en balance, il est arrivé qu’une suite de circonstances matérielles a graduellement altéré la pensée et en a dénaturé l’expression. Et, par exemple, M. de Martignac a légué, sans s’en douter, un germe de mort aux journaux par sa loi de juillet 1828, loi plus libérale, mais qui, en rendant à certains égards les publications quotidiennes ou périodiques plus accessibles à tous, les greva de certaines conditions pécuniaires comme contre-poids, et qui, en les allégeant à l’endroit de la police et de la politique, accrut en leur sein la charge industrielle. Pour subvenir aux frais nouveaux, que ferons-nous ? disaient les journaux. — Eh bien ! vous ferez des annonces, leur répondait-on. Les journaux s’élargirent ; l’annonce naquit, modeste encore pendant quelque temps ; mais ce fut l’enfance de Gargantua, et elle passa vite aux prodiges. Les conséquences de l’annonce furent rapides et infinies. On eut beau vouloir séparer dans le journal ce qui restait consciencieux et libre, de ce qui devenait public et vénal : la limite du filet fut bientôt franchie. La réclame[1] servit de pont. Comment condamner à deux doigts de distance, qualifier détestable et funeste ce qui se proclamait et s’affichait deux doigts plus bas comme la merveille de l’époque ? L’attraction des majuscules croissantes de l’annonce l’emporta : ce fut une montagne d’aimant qui fit mentir la boussole. Afin d’avoir en caisse le profit de l’annonce, on eut de la complaisance pour les livres annoncés ; la critique y perdit son crédit. Qu’importe ! l’annonce n’était-elle pas la partie la plus productive et la plus nette de l’entreprise ? Des journaux parurent, uniquement fondés sur le produit présumé de l’annonce : alors surtout la complaisance fut forcée ; toute indépendance et toute réserve cessèrent.

Cette malheureuse annonce n’a pas eu une influence moins fatale

  1. Pour ceux qui l’ignorent, nous dirons que la réclame est la petite note glissée vers la fin, à l’intérieur du journal, d’ordinaire payée par le libraire, insérée le même jour que l’annonce ou le lendemain, et donnant en deux mots un petit jugement flatteur qui prépare et préjuge celui de l’article.