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présenté aucune chance de succès légitime et qui entraînaient visiblement à une corruption immédiate ? Ce qui est certain (et en réduisant toujours notre point de vue), c’est que la moralité littéraire de la presse en général a baissé depuis lors d’un cran. Si l’on peignait au complet le détail de ces mœurs, on ne le croirait pas. M. de Balzac a rassemblé, dernièrement, beaucoup de ces vilainies dans un roman qui a pour titre un Grand Homme de Province, mais en les enveloppant de son fantastique ordinaire : comme dernier trait qu’il a omis, toutes ces révélations curieuses ne l’ont pas brouillé avec les gens en question, dès que leurs intérêts sont redevenus communs.

Au théâtre, les mêmes plaies se retrouveraient ; les mœurs ouvertement industrielles y tiennent une place plus évidente encore. Il en fut ainsi de tout temps : mais, dans une histoire du théâtre depuis dix ans, on suivrait le contre-coup croissant et désordonné de ce mauvais régime littéraire. L’exigence des auteurs en vogue augmente et souvent ne ressemble pas mal à de la voracité. Pour se les attacher on a, par exemple, l’appât des primes : aussitôt une pièce de l’un d’eux lue et reçue, une somme est donnée, cinq mille francs, je crois, si la pièce a cinq actes. Quand la pièce réussit, quand les engagemens se tiennent avec quelque fidélité, tout va au mieux, mais l’ordinaire n’est pas là. Les théâtres s’en tirent parfois pourtant mieux que le reste. Leur plaie réelle a toujours été dans la rareté des bonnes pièces et dans celle des bons sujets, des bons acteurs. Une seule bonne fortune en ce genre répare bien des pertes. Passons.

C’est à la littérature imprimée, à celle d’imagination particulièrement, aux livres auparavant susceptibles de vogue, et de degrés en degrés à presque tous les ouvrages nouveaux, que le mal, dans la forme que nous dénonçons, s’est profondément attaqué. Depuis deux ans surtout, on ne vend plus : la librairie se meurt. On a tant abusé du public, tant mis de papier blanc sous des volumes enflés et surfaits, tant réimprimé du vieux pour du neuf, tant vanté sur tous les tons l’insipide et le plat, que le public est devenu à la lettre comme un cadavre. Les cabinets de lecture achètent à peine. On a vu dernièrement un auteur réclamer tout haut contre l’usage de quelques-uns de ces cabinets qui, pour ne pas se ruiner en doubles achats, découpent dans les journaux et font relier les romans qui paraissent en feuilletons : l’auteur dénonçait avec indignation cette mesure économique : c’est heureux qu’il n’en ait pas déféré au procureur du roi. Mais qu’attendre aussi d’un livre quand il ne fait que ramasser des pages écrites pour fournir le plus de colonnes