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SALERNE ET PŒSTUM.

Les conquérans normands, qu’un coup de main rendait maîtres d’une ville importante, cherchaient, avant tout, à s’y fortifier. Dans cette vue, ils élevaient à la hâte, sur le roc voisin, une enceinte flanquée de tours, et ils appelaient cela un château. Le château de Salerne offre, dans ses restes, les traces de la précipitation que l’on a mise à le construire. Ses murs ne se composent guère que de moellons noyés dans un ciment grossier. Les fenêtres et les meurtrières ne sont que des trous informes, irrégulièrement percés dans ces murs épais. La voûte de la porte principale, encore debout, offre seule quelques intentions d’architecture. Il est vrai que cette voûte, à laquelle on arrive par un pont en maçonnerie, paraît postérieure au reste de l’édifice.

Il est presque impossible de rien démêler de la forme primitive du château au milieu de ces ruines. Les parties du rez-de-chaussée qui ont été préservées servent maintenant d’étables ou d’écuries à une famille de paysans qui s’est bâti une barraque parmi les constructions qui regardent la ville. Une vieille femme colère, que Michel-Ange eût prise pour le modèle d’une de ses Parques, un enfant rachitique qui pleurait, et quelques porcs qui grognaient dans une étable, tels étaient, quand je le visitai, les seuls habitans du château de Robert Guiscard et du roi Roger. Quoi qu’il en soit, sa position isolée au sommet d’un roc élevé de huit à neuf cents pieds au-dessus du niveau de la mer, avec la ville couchée à ses pieds, est admirable, et la vue que l’on a de ses ruines est l’une des plus belles qui soient au monde : d’un côté, l’horizon s’étend par delà les vallées d’Avellino et du Sele jusqu’aux montagnes de la Calabre ; de l’autre, l’œil embrasse tout le golfe de Salerne, des îles des Syrènes aux campagnes de Pœstum et aux îlots de la pointe de la Licosa.

Salerne, la seconde ville du royaume de Naples, forma à elle seule une principauté vers la fin du XIe siècle. Son histoire offre quelques particularités dignes de remarque. Salerne est, en effet, la dernière des villes d’Italie qui ait appartenu aux Lombards. En 1075 (et non en 1077, comme le rapporte M. de Sismondi)[1], cinq cent sept ans après l’entrée d’Alboin en Italie, et trois cent un ans après la défaite du roi Didier par Charlemagne, et la prise de Pavie, Robert Guiscard et ses Normands s’emparèrent de cette ville, et détrônèrent Gisulfe qui y régnait et qui fut le dernier des princes lombards. Ce n’est donc point à tort que les Grecs et les historiens siciliens et napolitains donnent souvent le nom de Lombardie aux duchés de Bénévent et de Salerne, fondés par Zoton en 589 ; les Lombards y dominèrent en effet 208 ans de plus que dans le nord de l’Italie.

Gisulfe opposa une vigoureuse défense aux forces de Robert Guiscard et des Amalfitains réunis ; et cependant les Lombards de Bénévent et de Salerne étaient loin alors de ressembler à leurs pères, qui, sous Arichis et Grimoald, avaient su défendre leur indépendance contre Charlemagne, vainqueur du reste de l’Italie. Le climat les avait amollis, ils avaient pris les mœurs des Grecs et des Sarrasins.

  1. Gaufrid. Malaterra, lib. III, cap. IIChronic. Cassin., liv. III.