Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 19.djvu/747

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
727
DÉPÊCHES DU DUC DE WELLINGTON.

cassière et timide. Enfin, nos officiers apprendront, par la lecture de ce livre, comment un général en chef, s’il veut réussir sous le régime d’étroite responsabilité où nous vivons, doit savoir tenir constamment un œil ouvert sur l’ennemi et l’autre sur lui-même.

Ceux qui aiment les contrastes n’ont qu’à suivre à la fois, sous les mêmes dates, les mémoires ainsi que les ordres du jour du duc de Wellington, et les bulletins ainsi que les proclamations de Napoléon et de ses lieutenans. Napoléon et les généraux de son école s’adressent toujours à l’esprit du soldat ; ils lui parlent du jugement des siècles, de l’histoire ; dans quelques-unes de ses proclamations de la Pologne et de la Russie, quand les troupes sans solde manquaient de vêtemens et de chaussures, l’empereur leur promet au retour un repas public devant son palais dans Paris, où leurs concitoyens les couronneront de lauriers, et les salueront du glorieux nom de soldats de la grande-armée. Le duc de Wellington ne parle jamais de l’avenir à ses soldats et aux officiers sous ses ordres ; il leur annonce qu’une escadre anglaise qu’il attend, apporte tant de livres sterling, tant de capotes, tant de chaussures, des vivres pour les hommes, du foin pour les chevaux, et il ne leur dit pas même, comme Nelson à Trafalgar, que l’Angleterre attend d’eux que chacun fera son devoir. Le général anglais ne suppose pas qu’une armée chaudement vêtue et régulièrement nourrie puisse y manquer ! Quant à lui-même, il s’impose des devoirs d’un genre tout semblable. Il suppute, il compte avec l’exactitude d’un négociant anglais les subsides en argent qui lui arrivent, il les répartit en masses égales, il relève les erreurs de chiffres des bordereaux, et rien ne rebute son attention dans ce travail vulgaire. En un mot, le duc de Wellington pousse si loin cette qualité importante d’un grand général, que possédait aussi à un haut degré Napoléon, qu’elle absorbe un peu en lui toutes les autres. Si le duc de Wellington avait eu à combattre à la fois le maréchal Soult et l’intendant Daru, ou quelque approvisionneur de cette force, les résultats de la campagne de 1813 eussent peut-être été différens ; mais il avait devant lui des troupes dénuées de tout, qui ne pouvaient se refaire dans un pays qu’elles avaient épuisé, et son esprit d’ordre, appuyé d’un incontestable talent militaire, lui donna l’avantage partout.

En lisant les dépêches du duc de Wellington, on ne tarde pas à trouver le côté élevé, je dirai presque le côté héroïque de sa tenue sévère, de son amour de l’ordre et de cette patiente rigueur avec laquelle il resserre sans cesse les liens de la discipline entre tant de soldats de diverses nations. Le général anglais n’avait pas seulement à