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DÉPÊCHES DU DUC DE WELLINGTON.

accusé, par un membre de la chambre haute, « d’avoir laissé assassiner juridiquement le maréchal Ney, ce soldat accompli, parce qu’il n’avait pu le vaincre sur le champ de bataille. » À quoi lord Wellington répondit tranquillement que, si ces paroles se produisaient ailleurs que dans une lettre, il en poursuivrait l’auteur comme libelliste, et son émotion n’alla pas plus loin.

On connaît maintenant lord Wellington. À l’époque où le duc de Wellington quitta son commandement sur le continent, la suprématie anglaise s’étendait sans obstacle sur les deux mondes. Depuis quinze années l’Angleterre à peu près seule avait communiqué avec l’Asie ; la route de l’Inde avait été presque oubliée par les autres nations. Le blocus maritime avait enseveli dans une sorte de mystère les procédés de l’industrie anglaise, et si les marchandises de l’Angleterre avaient peine à pénétrer sur le continent pendant la guerre, leur supériorité assurait, au moment de la paix, la domination commerciale du monde entier au pays qui les produisait. Le jour de recueillir le fruit des sacrifices qu’il avait faits, était enfin venu pour le gouvernement anglais. L’Angleterre avait eu à sa solde, pendant plusieurs années, un million de combattans, et elle avait dépensé, en 1814 seulement, cent quatorze millions de livres sterling en subsides ; mais la politique de Pitt, continuée par Castlereagh, avait triomphé. Napoléon était vaincu, la France abattue, et comprimée à sa frontière la plus exposée par une triple ligne de forteresses dont les clés étaient remises entre les mains de lord Wellington. Les batailles de Baylen et de Waterloo, où lord Wellington joua le premier rôle, avaient anéanti les résultats de Marengo, d’Austerlitz et d’Iéna. En possession de Malte, de Gibraltar, des îles Ioniennes, de l’Île-de-France, de la plupart de nos possessions maritimes, l’Angleterre semblait tenir pour toujours sous ses pieds la France, dont les forces navales étaient limitées par les traités, et à qui on avait enlevé, après la reddition de Paris, neuf cents bouches à feu et presque tous ses vaisseaux. La Russie, sans finances, sans industrie, était alors tributaire du commerce anglais, et lui servait de voie de transit vers l’Asie centrale. L’Espagne, le Portugal, étaient presque directement gouvernés par le cabinet anglais. L’aristocratie anglaise avait vaincu la révolution française, et forcé l’Europe entière à en répudier les élémens ; d’accord avec son souverain, qui professait avec ardeur ses principes, elle avait sans partage la direction des affaires, et la seule grande réputation militaire qui s’était élevée des rangs des armées alliées lancées contre Napoléon, se trouvait appartenir à la fois à l’Angleterre et à l’aristocratie qui la dominait.