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DU GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF EN FRANCE.

parlementaires ni plus corrompus, ni plus ambitieux que Shaftesbury, Bolingbroke ou Walpole. Si le cynisme s’étale à présent plus au grand jour, s’il est plus facile à l’intrigue de triompher, à la vanité de se produire, à l’ambition de marcher ouvertement à son but, c’est moins parce que ces passions auraient acquis une plus grande intensité que parce que tout tombe sous le domaine de la publicité, et que les institutions ont cessé de leur imposer une barrière. Il n’y a plus rien entre la société et ses membres : ceux-ci peuvent tout contre elle, tandis qu’elle ne peut rien contre eux. C’est là sans doute un état fort grave, et ce serait à désespérer de la liberté et même de la civilisation, s’il fallait renoncer à l’espoir d’organiser la société nouvelle créée par la révolution de 89 dans les conditions qui lui sont propres, et qu’elle n’a que partiellement connues jusqu’ici. Dans une telle hypothèse, monsieur, vos appréhensions se trouveraient inévitablement confirmées, et ce pays aurait traversé la liberté constitutionnelle pour retrouver, au bout d’une trop courte carrière, ou le despotisme du sabre ou celui des forces brutales.

Ce qui se passe indique-t-il la décrépitude du gouvernement représentatif ou sa transformation prochaine ? Ici est le nœud de la question, car je repousse, comme vous, l’idée qu’un tel état soit normal et définitif.

Jusqu’aujourd’hui ce mode de gouvernement avait une signification universellement admise. Qui disait monarchie représentative entendait parler d’un système dans lequel des pouvoirs divers par leur origine, ou des intérêts opposés par leur nature se balançaient de telle sorte qu’un système de transaction perpétuelle se trouvait substitué à la domination violente de l’un de ces intérêts sur les autres.

Il ne faut pas sans doute prendre trop au sérieux la vieille fiction de votre trinité politique. L’Europe a fini par apprendre que c’était là une espèce de leurre habilement entretenu par une aristocratie moins jalouse des apparences que de la plénitude du pouvoir. Mais ce qu’il faut reconnaître, car votre histoire toute entière est là pour l’attester, c’est que la monarchie constitutionnelle d’Angleterre, bien qu’elle n’ait pas précisément réalisé cette pondération des pouvoirs qui lui était attribuée, a constamment entretenu dans son sein celle des partis, ou, pour parler plus exactement, des grandes écoles politiques. Toutes les idées s’y sont fait perpétuellement équilibre ; aucun intérêt n’a exclusivement dominé ses conseils. Les hommes d’état voulant une politique tout insulaire ont dû transiger souvent avec les partisans d’une politique continentale. Ceux qui aspiraient à étendre