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LES MARBRES D’ÉGINE.

rivales, Sparte ne se souvint plus de leurs rancunes que pour les imiter.

En traversant le Bosphore, Xercès apprit aux Grecs qu’ils étaient tous frères, et qu’il allait être question de leur vie ou de leur mort ; lorsqu’il entra dans le golfe d’Égine, il n’y trouva que des ennemis ; les Doriens et les Ioniens avaient oublié leurs différends, pour sauver leur patrie commune. Ce rapprochement de tous les élémens grecs, joint à l’activité qu’une si grande lutte développa, produisit enfin l’épanouissement complet du génie hellénique. Athènes, qui avait pris l’initiative de la guerre, recueillit aussi les fruits les plus beaux de la paix qui suivit. S’étant placée à la tête des peuples par l’élan d’un admirable instinct, elle eut encore, grace à son génie impressionnable, le bonheur de s’imprégner profondément de cette civilisation dorienne qui s’obstinait sourdement dans ses jalousies ; ainsi elle devint le représentant réel des élémens divers de la nation, et en quelque sorte la lyre par laquelle la Grèce entière devait parler aux générations futures. Cependant les Éginètes avaient joué un rôle important dans la défaite de Xercès. L’immense butin de Salamine avait été transporté et vendu dans leur île. Les dépouilles de Platée, au dire d’Hérodote, les enrichirent encore. Mais l’avidité mercantile qui s’était emparée d’eux les fit bientôt décheoir de ce comble de gloire et de prospérité ; déjà leur ville n’était plus citée que comme le rendez-vous de tous les libertins de la Grèce, qui étaient sûrs d’y trouver meilleure chère et une vie plus opulente que partout ailleurs.

Athènes profita de l’engourdissement de son ancienne rivale, et à l’occasion des premiers dissentimens qui éclatèrent entre l’Attique et le Péloponèse, elle vint mettre le siége devant Égine. Au bout de neuf mois de siége, Égine se rendit, et consentit à détruire ses murailles, à livrer sa marine, à payer un tribut. Vingt-sept ans après cette reddition honteuse, comme la guerre du Péloponèse venait d’éclater, les Éginètes parurent encore redoutables, malgré leur abaissement. Athènes les expulsa de leur île, et les remplaça par une colonie prise dans son sein. Les fugitifs furent accueillis par les Spartiates, qui leur donnèrent un refuge à Tyrée, dans le Péloponèse ; mais ils y furent poursuivis par la haine des Athéniens, qui s’emparèrent de leur nouvel asile, et emmenèrent en captivité tous ceux qu’ils ne laissèrent pas sur la place. Cependant, lorsque la victoire d’Ægos Potamos eut terminé la guerre en faveur du génie dorien, le général lacédémonien Lysander voulut rétablir les Éginètes dans leur île. De ce peuple, autrefois considérable, il ne restait plus qu’un ramassis