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On se demande comment, avec des machines si compliquées et si coûteuses, établies dans de vastes bâtimens au sein des villes ou dans leur voisinage, et servies par des ouvriers très bien payés, on a pu parvenir à soutenir la lutte avec avantage contre cet ancien filage à la main qui s’exécutait à si bas prix. Le problème a été résolu par l’excellence des préparations, par le ménagement de la matière première, le meilleur emploi des forces, la rapidité de l’exécution, la régularité du travail et la perfection des produits.

C’est jusque dans les opérations préliminaires que ces différences s’observent, et notamment dans le peignage, la plus importante de toutes. Autrefois le peignage s’exécutait si mal, qu’une énorme quantité de lin s’y changeait en étoupes, sans que pour cela la partie restante fut bien peignée. On est parvenu, à l’aide des machines, à obtenir un peignage beaucoup plus parfait avec des pertes beaucoup moindres. Opposons, par exemple, l’ancien peignage à celui qui s’exécute avec une machine de l’invention de M. de Girard, perfectionnée par M. Decoster.

Dans le peignage à la main, voici comment les choses se passaient. Un ouvrier prenait d’une main une mèche de lin ou de chanvre, et l’étreignait fortement entre ses doigts. Ainsi comprimé d’un côté, le lin prenait la forme d’une queue de cheval. En cet état, on le faisait passer et repasser sur des pointes en fer ou en acier, qui tenaient lieu de peigne. Quand on avait fini d’un côté, on recommençait de l’autre. Rien de plus simple que cette opération ; mais, outre sa lenteur, elle avait des inconvéniens très graves. Là où la main de l’ouvrier étreignait le lin, il était si serré, si dense, que les dents du peigne avaient de la peine à pénétrer. Au lieu de le diviser, elles le déchiraient en brisant les filamens. Au contraire, à l’extrémité de la queue, les filamens étaient si flottans, si lâches, que les dents du peigne n’avaient plus de prise sur eux ; de là ce double inconvénient d’une énorme déperdition de matière première et d’un peignage imparfait.

On a changé tout cela. Dans le système MM. de Girard et Decoster, le lin est serré par les extrémités supérieures entre deux ais en bois qui remplacent la main de l’ouvrier. Il n’y est pas réuni en faisceau, en masse, mais réparti sur la longueur des ais, de manière à prendre la forme, non d’une queue, mais d’une crinière de cheval. Cette crinière pendante est ensuite mise en mouvement, avec les ais qui la portent, et va passer entre deux rangs de manivelles, qui doivent la battre des deux côtés en même temps, à peu près comme un soldat condamné aux verges passe entre deux rangs d’exécuteurs. Au lieu de verges, les manivelles sont armées de pointes ou d’aiguilles en acier dont l’épaisseur diminue à mesure que l’on avance. Les premières aiguilles que le lin rencontre dans sa marche sont assez épaisses et assez distantes l’une de l’autre elles n’opèrent qu’un premier démêlage en gros ; mais ensuite elles deviennent de plus en plus fines, en même temps qu’elles se rapprochent. À la

    obtient par le rapprochement des appareils un étirage plus régulier, ce n’est aussi qu’en brisant les filamens.