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affranchissait Scio de tous droits de douane, soit à l’entrée, soit à la sortie, Syra perdrait peut-être beaucoup, sans qu’Hydra ou Spetzia y gagnassent quelque chose ; mais il n’est pas nécessaire de se presser. On peut attendre que l’on prenne un parti à Constantinople, pour en prendre un à Athènes ; car, à égalité de conditions de douane, l’avantage sera toujours pour l’île la plus favorablement située. Il faut donc espérer pour la Grèce et pour les Sciotes et les Ipsariotes[1], que ceux-ci ne quitteront pas le drapeau hellène, pour aller se ranger sous le pavillon rouge des Turcs.

Quand vous arrivez à Syra, si vous demandez dans quel quartier habitent les Ipsariotes, on vous montre la partie méridionale de la ville, c’est-à-dire les environs des chantiers de construction et les abords du port. Si vous vous informez de la partie de la ville qu’habitent les Sciotes, on vous montre la partie septentrionale, c’est-à-dire les environs de la douane, et vous reconnaissez aussitôt le caractère particulier des deux populations.

Les Ipsariotes ont une telle intelligence des choses de la marine, qu’on a vu des enfans de quinze à seize ans construire des goélettes reconnues pour avoir une marche tout-à-fait supérieure. Que de fois, étant sur le pont d’un de nos bâtimens de guerre, et passant près de navires grecs, j’ai vu nos officiers admirer leur coupe élégante, leur poulaine relevée avec tant de grace, leur beaupré si bien placé, leurs voiles si larges quand elles sont développées, si minces quand elles sont serrées sur leurs vergues ! Mais ce qu’il y a de plus extraordinaire encore, c’est la manière dont ces navires sont fabriqués. Dans un espace assez restreint qui s’étend depuis les dernières maisons de Syra jusqu’aux murs d’enceinte du lazaret, on compte presque continuellement quinze ou vingt navires en construction, car Syra construit aussi pour des ports étrangers ; quelquefois les rangs sont doubles, et la même calle contient deux bâtimens : celui de devant qu’il faudra avoir fini et mis à l’eau, quand celui de derrière sera prêt à être lancé. Il n’est pas de dimanche où l’on ne voie lancer un, deux, trois, et jusqu’à quatre navires. Toutes ces constructions marchent en même temps. Les pièces de membrures sont taillées d’intuition. C’est à peine si les constructeurs, que rien dans leur mise ne distingue des plus simples ouvriers, ont un compas à leur disposition.

Pour construire des navires, nous employons des pièces de bois de chêne ; celles de ces pièces qui doivent être courbes, nous les voulons courbées naturellement. Les Ipsariotes ne sont pas si difficiles ; leurs navires sont entièrement faits de bois de pin, pas une des pièces de membrure n’est courbe ; c’est au moyen de poutres droites, et en les ajustant après les avoir taillées, qu’on obtient des courbes. Aussi, leurs navires coûtent-ils à peu près le sixième de ce que coûtent les nôtres. Il est vrai qu’ils durent beaucoup moins ; mais ces navires sont payés à leur troisième voyage, et le reste de leur service est

  1. Scio et Ipsara ne font pas partie de la Grèce telle que les traités l’ont constituée.