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Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 20.djvu/124

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REVUE DES DEUX MONDES.

tagne, puis vous entendez les cris de l’enfantement retentissant dans le vieux palais des comtes de Paris. M. Capefigue tient sans doute ces importans détails d’un témoin oculaire, ou bien quelque lettre de faire part est arrivée jusqu’à lui. Voulez-vous des récits amoureux ? Ce sera l’histoire de Béatrix à laquelle son père le boucher ne voulait pas laisser tollir le doux nom de pucelle ; mais cette épopée de Hugues Capet, écrite par un trouvère du règne de Philippe-le-Hardi, est ici réduite à la proportion d’un conte drôlatique de M. de Balzac. Les aventures de Tristan-le-Léonois et de la belle Yseult fournissent à M. Capefigue des réflexions érotiques d’un platonisme singulièrement délicat : — « Endolorez-vous tous à ces récits, finit-il par dire aux amans ; que de traverses, que de tristesses, que de larmes versées, avant d’arriver au triomphe d’amour, que je vous souhaite ! » Le lecteur est sans doute chargé du refrain sous-entendu : Ainsi soit-il !

On n’est pas au bout, mais l’haleine ne suffit pas ; je deviendrais trop fastidieux en continuant de citer, et j’aime mieux couper court un moment. Qu’est-ce qu’un pareil ton en histoire ? Comment se l’expliquer ? M. Capefigue y est arrivé tout simplement : il n’est pas écrivain, il n’est rien moins que peintre : il a voulu trancher de l’un et de l’autre. De même que dans son Histoire de la Restauration, en soi-disant tory, il ne parlait que de hautes vues, de haute modération, et qu’il se caressait dans son anonyme en ministre d’état honoraire cultivant ses souvenirs, de même ici, en abordant le moyen-âge, il a voulu se donner du féodal, laisser aux petites gens leur tiers-état, aux raisonneurs politiques leur parlement, et jouer à son tour un personnage historique original. Un Saint-Simon, un Boulainvilliers, s’en seraient tirés au naturel ; lui, il a dû chercher çà et là des couleurs, des lambeaux d’armures, de vaines paroles dérobées, et les afficher pour en faire accroire. N’étant pas écrivain, il a brouillé tout cela ; il n’est arrivé qu’au jargon. Il a trouvé pourtant d’honnêtes gentilshommes, de nobles châtelaines qui lisent ces prétendus récits des vieux âges, qui les aiment à la faveur du reflet : dans le parti légitimiste, on n’est pas difficile en histoire, et tout ce qui flatte un peu, on le croit ; on fait plus, on l’achète. De là une manière de succès. Lui-même il a pu finir par être pris à ses propres assertions, je n’en serais pas étonné. Dans ce remuement de vieilles armures, de couronnes féodales, de crosses d’or ou badigeonnées, chaque reflet lui paraît une vue.

Ainsi s’est formé pour M. Capefigue le moyen-âge, auquel il croit peut-être plus qu’il ne lui conviendrait, sachant d’où il l’a pris, ce moyen-âge nouveau qui lui a été révélé par les chartes scellées. Quant aux leçons de M. Guizot sur les institutions politiques et le tiers état, il est bien entendu désormais que nous n’en tenons aucun compte ; elles sont mises au nombre de ces rêveries enfantines qui vivent un jour, jusqu’à ce qu’il arrive encore des écoles qui s’abîment dans l’incessante mobilité des nuées bleues, roses et blanches. Ceci est textuel, et je ne prête pas de phrases à M. Capefigue, comme certains historiens prêtent des bulles aux papes, des textes aux historiens, et des assertions aux manuscrits.