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DU GÉNIE DE L’ART.

plus palpable, je chercherai un exemple, non pas dans l’antiquité, mais dans les monumens qui nous entourent. Élevons devant nous, par la pensée, une cathédrale. Un nombre prodigieux d’artistes ont concouru à l’achever. Tous sans se connaître ont exprimé, par des moyens différens, une même idée. Le premier art, celui qui soutient tous les autres, est l’architecture. Quel en est le caractère ? Cette vaste nef avec ses deux chapelles latérales en forme de croix, et qui figure le corps du Christ dans le sépulcre, ce mystère, ces demi-ténèbres, cette tour principale, qui, image du pouvoir spirituel, monte dans la nue, n’est-ce pas là l’édifice, non de la chair, mais de l’esprit ? Approchons. L’architecte n’a pas tout fait. Des statues habitent dans ces niches, peuple de pierre né pour ce monument. La pensée, écrite dans les voûtes et les piliers, reparaît plus visible dans les traits, l’attitude, même dans les plis des vêtemens de ces personnages. Rois, évêques, empereurs qui lisent éternellement sur leurs livres de pierre, dans tous le même esprit rayonne. Quelle macération ! quelle humilité ! quel ascétisme ! Une seule ame respire dans les formes de la sculpture et dans celles de l’architecture. Ce n’est pas assez. La maison de l’Invisible n’est pas seulement une œuvre d’architectes et de statuaires ; les peintres y ont aussi mis la main. Elle est revêtue intérieurement des fresques du XIIIe et du XIVe siècle. Ce seront ou les vitraux du Nord, ou les mosaïques des Bysantins, ou plutôt les peintures de Giotto, de Buffalmacco, d’Orcagna, de Fiesole, dans les églises de Toscane. Là encore quel culte de la passion du Golgotha ! quel règne de l’esprit ! quel dépouillement de la matière et du corps ! On ne saurait, il semble, s’insinuer plus avant dans l’empire des ames, et cependant je n’ai point achevé. La merveille est loin d’être accomplie. La cathédrale est muette, elle va parler ; la musique va couronner les autres arts. Des chants s’élèveront du milieu du silence des voûtes. Quels seront-ils ? Le chant grégorien, le Dies Iræ, le Te Deum ; et l’expression de ces mélodies liturgiques est tellement conforme à celle du monument, que vous diriez que ces chants s’exhalent des lèvres des statues et de la foule des figures des vitraux et des fresques, comme un grand chœur d’êtres surnaturels. Tant il est vrai que le même modèle invisible est apparu à tous les artistes qui ont donné la vie à cet ensemble, architectes, statuaires, peintres, musiciens, et ce modèle est le Christ lui-même.

Qu’ai-je voulu dire par là ? N’ai-je voulu qu’amuser un moment vos imaginations ? Loin de là, j’ai voulu établir que l’idéal qui règne sur