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monumens qui marquaient l’apothéose de la cité, et qui faisaient de Rome la ville éternelle ou la demeure des dieux terrestres.

Avec le christianisme, une nouvelle révolution religieuse est consommée : cette révolution en fait éclater une autre dans les arts ; elle produit même, en quelque manière, un art nouveau. L’humanité, jusque-là divinisée par les Grecs, abdique devant le créateur ; elle ne règne plus sous les traits de Jupiter. La sensualité païenne est condamnée ; le crucifix est l’emblème de ce nouvel idéal, et un art moins sensuel, puisqu’il ne relève que du sens de la vue, devient, par excellence, celui des temps chrétiens : c’est la peinture. Que reste-t-il de l’apothéose de l’homme ? Les personnages n’apparaissent plus exhaussés sur un piédestal supérieur à tout l’univers visible. Ils ne vivent pas dans une éternelle immobilité, ni dans le repos céleste de l’empyrée. Au contraire, ils sont en proie à toutes les agitations de la vie terrestre, environnés de tous les détails qui déterminent le mieux l’impression du temps et du lieu ; l’homme n’est plus considéré abstraitement ; c’est un certain homme dans un moment particulier. De là vient que tout ce qui sert à fixer le caractère individuel est du domaine de cet art, le costume, la couleur, le ton des objets ; et la personne divine et humaine, après avoir été consacrée par le christianisme, a ainsi fondé chez les modernes le règne de la peinture.

De plus, le christianisme a sinon créé, au moins révélé le génie de la musique, le plus spirituel des arts, puisqu’on dirait qu’il arrive jusqu’à l’ame, comme la voix du Dieu-Esprit, sans l’intermédiaire des sens. Le protestantisme qui, dès l’origine, a exclu du temple les autres arts, a conservé et développé ce dernier. C’est, au reste, celui qui de tous peut le mieux se passer d’une croyance formelle et d’un symbole fixé par la tradition. Son époque de perfection n’est pas celle de la foi ; c’est l’époque de la philosophie. Mozart et Beethoven sont les contemporains de Kant et de Hegel.

Enfin, au faîte des arts s’élève la poésie, qui jusqu’à un certain point les embrasse tous. Elle est architecture, car elle construit et édifie ; sculpture et peinture, car elle met en relief et montre aux yeux de la pensée le monde intelligible ; surtout elle est musique et harmonie, et c’est là son essence. Avec elle s’achève l’échelle de la beauté visible. Si l’on veut monter plus haut, on demande à l’art ce que la morale et la religion peuvent seules donner. Dans cette confusion se trouve l’abîme, avec lui le vertige. Toute poésie qui veut dépasser ses limites naturelles défaille dans le vide ; franchissant le dogme, elle tombe dans le rêve, Après le développement régulier de