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MÉLANCTHON.

religieuse, les autres pour se faire distinguer. Tous ces prêches remuaient la ville, convertie tout à coup en un vaste auditoire, et les magistrats avaient fort à faire pour maintenir l’ordre dans cette foule qui désertait ses travaux, et se pressait autour des chaires pour s’abreuver de ces nouveautés enivrantes. Les princes y assistaient, entre autres le landgrave de Hesse, lequel écoutait volontiers maître Michel, l’un des sacramentaires.

La ville avait équipé huit cents hommes, tant fantassins que cavaliers, tous habillés de velours et de soie, et un bon nombre cuirassés. En outre, on avait dressé des barrières et tendu des chaînes dans les rues, en cas d’émeutes du soldat ou du peuple. Charles-Quint, averti de ces précautions, en prit de l’ombrage, et exprima des méfiances. Le sénat répondit que l’établissement de chaînes et de barrières avait été résolu depuis dix ans, et que, quant aux soldats, ils n’avaient été équipés que pour fêter l’empereur. Charles-Quint insista. Il voulut faire des épurations dans cette troupe, remplir les vides par des hommes à lui, et faire prêter à tous serment de fidélité à l’empereur. Le sénat aima mieux un licenciement général.

Au reste, l’empereur en usait avec la ville d’Augsbourg comme il eût fait d’une ville de ses Espagnes. Ses fourriers arrachaient des auberges les écussons des princes, et prenaient possession, au nom de l’empereur, de tous les logemens qui leur convenaient. On le disait, quant à lui, arrêté dans les états romains par le manque d’argent. Il attendait celui de France, dont le premier terme, selon les derniers traités, devait échoir à la Pentecôte. Mais n’est-il pas plus vraisemblable que ce retard était calculé, et que l’empereur voulait arriver au milieu de partis épuisés par des discussions préliminaires, pensant que la fatigue générale, en faisant désirer sa médiation, la rendrait plus facile ?

Quoi qu’il en soit, on anticipait sur la diète en agitant, soit dans les églises, soit dans les conciliabules, toutes les questions qui devaient y être débattues. Pour les prêches en particulier, on délibérait à quel prix il faudrait en revendiquer le libre usage, au cas où il plût à l’empereur de l’interdire. Le plus grand nombre penchait pour la désobéissance, les zwingliens surtout, qui avaient le plus d’intérêt au maintien des prêches, étant l’extrême parti de la réforme, et ayant plus besoin que les autres de l’acclamation populaire. L’église saxonne aurait vu sans déplaisir l’interdiction des prêches zwingliens mais, en la souffrant, n’invitait-elle pas l’empereur à supprimer les siens ? On discutait tous les cas. Ou Charles-Quint interdirait tous les