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jours avec lui, donne à Isennemann, son ami, le secret de cette politique. « Nos concessions, dit-il, ne sont qu’apparentes. Si la doctrine est sauvée, c’en est fait des évêques[1]. »

Si la nécessité était la justice, et qu’il n’y eût de bien entrepris que ce qui réussit, il faudrait blâmer Mélancthon de s’être opiniâtré à cette chimère d’une transaction, au risque d’altérer ce caractère de douceur et de modestie qui le rendait si admirable. Il crut la paix possible, parce que la guerre ne l’était pas encore. C’était un politique médiocre, et il avait coutume de dire qu’il n’aimait pas les cours, parce que les princes poursuivent toujours plusieurs desseins à la fois. Il était bien plus propre à démêler les pensées que les volontés, et le temps qu’il employait à éclaircir les principes était perdu pour l’observation des passions et des intrigues. Il eut la douleur d’être désavoué jusque dans les négociations, concertées en commun, et de voir ses actes ou démentis par ceux qui y concouraient, ou décrédités par des arrière-pensées dont on pouvait le croire complice. Ajoutez à cela les haines des impatiens, les seuls qui, avec lui, fussent de bonne foi dans cette question de la juridiction des évêques, et qui ne supportaient pas qu’on fît un si grand sacrifice à la peur d’un danger qu’ils ne voyaient point. Ils en voulaient moins à Luther qu’à Mélancthon d’une concession qui pourtant leur était commune, au moins dans les actes publics. Outre plus de respect pour le chef véritable de la doctrine, ou bien ils le supposaient égaré par les artifices et l’insinuation de Mélancthon, ou bien ils ne le croyaient pas sincère, et lui tenaient cette fausseté à vertu ; de sorte que non-seulement Mélancthon s’acharna à une entreprise impossible, mais encore ce qui put lui arriver de plus heureux, ce fut de n’y pas réussir : car du moins le manque de succès put faire penser à ceux qui l’accusaient, ou que ses concessions étaient moins grandes qu’ils ne l’avaient imaginé, puisqu’elles ne satisfaisaient point les catholiques, ou qu’il n’y avait pas mis plus de sincérité que Luther, Brentius et les autres politiques.

Avant de le plaindre ou de le blâmer, cherchons s’il y eut un plus beau rôle que le sien à la diète d’Augsbourg : j’entends en mettant à part la gloire du génie, que nul ne pouvait disputer à Luther, et qui a des priviléges qui étonnent la conscience des hommes simples. Lequel valait mieux, ou d’être impraticable comme Zwingle, qui voulait recommencer la guerre des anabaptistes ; ou de céder, comme Luther, dans les actes publics, sauf à décrier dans le privé les conces-

  1. Corp. ref., tom. II, no 898.