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mentèrent. La ville avait mis un monastère à la disposition des étudians ; mais ce monastère était sans meubles, et ne pouvait pas contenir tout le monde. La plupart erraient dans la ville, sans domicile, sans livres, et comme dans un camp. Les plus riches faisaient venir des lits de chez eux ; mais, en attendant, ils couchaient par terre, ainsi que les parens, venus pour les suivre dans leurs études. Cependant l’ordre ne fut pas troublé, et les cours purent recommencer après quelques jours. Le sénat d’Iéna, qui avait eu peur des étudians, sur leur réputation un peu exagérée, rassuré et adouci par ces dispositions pacifiques, avait fini par les traiter en hôtes, jusqu’à faire venir pour eux de la bière qui leur était vendue meilleur marché qu’ailleurs.

Mélancthon, au mois d’août 1535, était dégoûté de la Saxe, et se laissait tenter de divers côtés d’en sortir. Il écrit à Camérarius en grec, comme dans tous les cas graves, qu’il lui faudra quitter un jour ce pays qui lui est peu propice. Le duc de Wurtemberg, Ulrich, l’appelait dans ses états. Dans le même temps, on lui écrivait de Pologne dans les termes les plus pressans. Enfin, François Ier l’invitait de sa main à se rendre en France pour s’y employer au rétablissement de la paix religieuse.

Mélancthon était fort célèbre à Paris. Les théologiens de la Sorbonne le connaissaient et le goûtaient depuis un écrit qu’il avait composé à la prière de Guillaume Du Bellay, frère de Jean, évêque de cette ville, sur les principaux articles de la nouvelle doctrine. Dans cet écrit, qui devait servir de texte à des délibérations entre hommes de savoir, il n’avait rien outré. Il n’y demandait ni le changement de la juridiction ecclésiastique, ni l’abolition de la suprématie romaine. Il se montrait coulant sur la question des deux espèces. Rien ne justifie mieux l’auteur de cet écrit d’avoir si longtemps caressé l’espérance d’un accord entre les deux partis, que la version latine qui en fut répandue en France, très certainement de l’aveu, si ce n’est même avec les corrections de l’évêque de Paris. C’est la réforme dans les limites où l’auraient acceptée, où l’acceptaient dans toute la chrétienté tous les esprits éclairés et de bonne foi. Le rêve de Mélancthon était celui de tous les hommes pour qui les questions religieuses n’étaient ni un prétexte politique, ni un champ clos oratoire.

C’est à la suite des premières persécutions, et sur l’avis de Jean Du Bellay, évêque de Paris, et de Guillaume son frère, que François Ier eut l’idée d’appeler Mélancthon. Il lui en fit faire les premières ouvertures par Barnabé de Voray, un des disciples secrets de Mélancthon.