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marié, il avait eu des attaques d’apoplexie. Son jugement, naturellement borné, était encore offusqué par le sang ; ses idées, obscures et confuses, semblaient des mouvemens de colère mal comprimés. Il écrivit d’abord à Cruciger une lettre en manière de défi, à laquelle celui-ci ne fit point de réponse. Une seconde lettre suivit, qui fut rendue publique. Cordatus attaquait les doctrines de Cruciger sur la justification, et demandait un débat public. Il voulait, disait-il, défendre la foi de Luther, le docteur des docteurs, contre les interprétations de disciples infidèles.

Jonas, alors recteur de l’académie, et qui l’avait eu pour élève, l’invita, dans une lettre sévère, à se contenter d’explications amicales et secrètes. Cordatus insista pour un débat public ; on le lui refusa. Ne pouvant parler du haut de la chaire, il se soulagea par des écrits violens contre Cruciger et Mélancthon. Il foula au pied l’un des meilleurs ouvrages de ce dernier, les Lieux communs de théologie, dont il venait de paraître une édition nouvelle. Des placards étaient affichés aux murs de l’église de Wittemberg, où Cruciger était dénoncé comme papiste et hérétique. Luther blâma ces excès ; mais il ne toucha pas à celui qui les avait provoqués. Sa conduite à l’égard de Cordatus fut la même qu’à l’égard d’Agricola : il n’approuva ni ne désavoua rien. Son orgueil était flatté que des élèves formés par Mélancthon remontassent à lui comme à la vraie et unique source de la doctrine, et le titre de docteur des docteurs lui cachait le danger de livrer les professeurs à l’élève, et les chefs même de son église à un obscur sectaire.

Sur ces entrefaites, l’électeur emmena ses théologiens à Smalcalde, où il avait à délibérer avec les autres princes évangéliques sur la proposition du nouveau pape, Paul III, de convoquer un concile à Mantoue. Il y fut décidé qu’on ne se présenterait au concile qu’avec un appareil de preuves qui rendît la contradiction impossible. En conséquence, les théologiens eurent ordre de recueillir tous les passages des Écritures, des Pères, des conciles, des décrets pontificaux, qui pouvaient se rapporter à la confession d’Augsbourg, demeurée le corps de doctrine du parti. Il manquait d’ailleurs à cette confession un point important ; on n’y avait pas donné d’avis sur la papauté : de peur d’en dire trop, on avait omis cet article. Les théologiens devaient se mettre d’accord pour en arrêter la rédaction.

Dès le commencement des conférences, Luther était tombé malade. Il n’en continua pas moins de prêcher dans l’intervalle des crises : mais, le mal empirant, il fallut l’emporter de Smalcalde.