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celle d’y mettre un terme ; au sein de l’administration, le découragement et le décousu inséparables d’un manque de direction ; au sein du pays, la dévorante concurrence de toutes les vanités, celle non moins stérile des ambitions détournées d’un but digne d’elles, et se cotant en sommes rondes ; le savoir-faire devenu la suprême puissance, et la capacité reculant devant l’intrigue : de tels faits, confessés par tous, proclament la nécessité de remèdes énergiques autant qu’ils accusent l’impassibilité de la loi.

La mission de celle-ci ne devrait-elle pas consister à régler dans l’avenir, par des mesures prudemment combinées, l’action de principes dont jusqu’à ce jour elle s’est bornée à garantir le triomphe ? L’honneur n’était pas moins l’ame de la monarchie absolue que l’esprit d’égalité et de concurrence n’est le mobile de la moderne société française, ce qui n’empêcha pourtant ni Richelieu ni Louis XIV de porter des lois terribles contre le duel. Il n’est pas un gouvernement qui n’ait dû, par une intervention prévoyante, modérer l’action de son principe, et je ne pense pas que celui de la bourgeoisie, s’il a réellement, comme je crois l’avoir démontré, un caractère natif et propre, puisse se soustraire long-temps à une telle nécessité.

Vainement demanderait-on aux mœurs seules l’amélioration d’un état de choses qu’elles semblent au contraire tendre à aggraver. Le goût des fortunes rapides se combinant avec la diminution des patrimoines héréditaires, la diffusion de l’instruction également favorisée dans toutes ses branches et à tous ses degrés, déclassent chaque jour une masse besogneuse, qui consent bien à respecter l’existence du pouvoir, mais sous condition expresse de le servir, à peu près comme les chefs de ces peuples du Nord, qui, après avoir long-temps fait trembler l’empire, amollis enfin par leur contact avec lui, exigeaient des empereurs des dignités lucratives et quelques lambeaux de pourpre romaine. Un vaste développement imprimé aux intérêts industriels et surtout agricoles au dedans, aux intérêts maritimes et colonisateurs au dehors, pourrait seul arrêter cet essor chaque jour plus universel vers les fonctions publiques, depuis les plus élevées jusqu’aux plus modestes ; symptôme significatif, qui constate par des chiffres authentiques la disparité des besoins avec les ressources, des désirs avec les moyens d’y satisfaire.

Les pouvoirs législatifs ne peuvent rien sans doute contre de telles tendances ; je ne crois pas à la puissance des lois contre les mœurs, tandis que j’admets celle des mœurs contre les lois, du moins pour les corriger. Ce fut grande pitié dans tous les temps de voir des esprits