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GOETHE.

chromatiques, oubliant dans le Traité de physique de Fischer tous les fléaux du moment[1].

On a beaucoup reproché à Goethe le peu de part active qu’il a prise aux affaires politiques de l’Allemagne, et l’attitude réservée où il s’est toujours tenu vis-à-vis des évènemens lui a valu, de son vivant, d’amères récriminations qui, sitôt après sa mort, n’ont pas manqué de tourner à l’invective. Franchement, que pouvait-il faire ? Ministre du grand-duc Charles-Auguste, admis dans son conseil privé, voulait-on qu’il ouvrît les états de Weimar aux idées alors envahissantes et se mît à la tête d’une sorte de république-modèle à l’usage

  1. Une chose qui frappe chez Goethe dès ses premières années, c’est l’union intime et paisible de deux facultés habituées à se combattre ; je veux parler d’une fantaisie productive, luxuriante, et d’un sens naturel qui trouve la vie et l’action partout, et partout brûle d’y entrer. Cet amour inaltérable de la nature et de l’œuvre pratique enlace toute son existence, et dirige vers le réel l’activité souvent inquiète de son esprit ; il est en lui le contrepoids et la sauvegarde des passions. Ainsi, dès l’enfance, en même temps qu’il s’entoure d’un monde imaginaire et remplit l’air de fictions poétiques, on le voit s’intéresser au mouvement de la ville industrieuse et commerçante où il est né. Il aime à se trouver au milieu de toutes les conditions, à s’identifier avec les existences étrangères, et poursuit, à travers les métiers et les professions, la connaissance des hommes et la conquête des ressources techniques. Il cherche non moins activement à se rendre compte de tous les imposans phénomènes qu’il rencontre dans la nature. Il parcourt les bois et les montagnes avec ravissement, et tout ce qu’il aperçoit lui devient aussitôt image (dans le sens de Platon). Ce qu’il conçoit avec tant de chaleur, il s’efforce de le reproduire au dehors, de le représenter, et le dessin, la plus morale de toutes les dextérités, die Sittlichste aller Fertigkeiten, comme il l’appelle, le dessin devient l’organe de ses intelligences avec la nature, la langue symbolique de sa contemplation intérieure. « Nous parlons trop, nous devrions moins parler et plus dessiner. Quant à moi, je voudrais renoncer à la parole, et, comme la nature plastique, ne parler qu’en images : ce figuier, ce serpent, ce cocon exposé au soleil devant cette fenêtre, tout cela, ce sont des sceaux profonds, et qui saurait en déchiffrer le vrai sens, pourrait à l’avenir se passer de toute langue écrite ou parlée. Il y a dans la parole quelque chose de si inutile, de si oiseux, je voudrais dire de si ridicule, que la terreur vous prend devant le calme sévère de la nature, et que son silence vous épouvante, lorsque vous vous trouvez vis-à-vis d’elle, devant quelque pan de granit isolé ou dans la solitude de quelque montagne antique.

    « Tenez, ajoutait-il en montrant une multitude de plantes et de fleurs fantastiques qu’il venait de tracer sur le papier tout en causant, voici des images bien bizarres, bien folles, et cependant elles le seraient encore vingt fois plus, qu’on pourrait se demander si le type n’en existe pas quelque part dans la nature. L’ame raconte, en dessinant, une partie de son être essentiel, et ce sont précisément les secrets les plus profonds de la création qui, en ce qui regarde sa base, repose sur le dessin et la plastique, qu’elle évente de la sorte. » (Goethe aus näherm personlichem Umgange dargestellt.)