Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 20.djvu/296

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
292
REVUE DES DEUX MONDES.

Depuis l’affaire d’Estella, il considérait la cause de don Carlos comme perdue, comme ruinée aux yeux même de l’Europe, par l’abaissement où le prétendant était tombé. C’était donc le moment d’agir, et l’un des fâcheux effets de la retraite du ministère du 15 avril a été de faire ajourner et de remettre à la force des choses ce qu’il aurait efficacement aidé.

Au reste, don Carlos montre, à Bourges, moins d’entêtement qu’on n’aurait pu le penser à reconnaître combien sa chute est irréparable. Le malheur ouvre si bien les yeux ! Peut-être même, avant de quitter l’Espagne, son aveuglement commençait-il à se dissiper. On prétend que dans le principe on ne l’avait pas trouvé trop éloigné de l’idée de traiter, par l’intermédiaire de Maroto, avec le gouvernement de la reine Christine ; mais les moines s’en mêlèrent, et, grace à eux, ces lueurs de bon sens et de raison s’évanouirent bientôt dans l’esprit du prétendant. Aujourd’hui, docile du moins en apparence, il vient d’accéder aux exigences du gouvernement français ; deux agens, chargés de ses pouvoirs pour Cabrera et le comte d’Espagne, ont quitté Bourges il y a peu de jours, se rendant à Bayonne. L’évènement prouvera bientôt jusqu’à quel point don Carlos est sincère dans cette démonstration, jusqu’à quel point il sera obéi par ses lieutenans. Une dernière lutte, vive et acharnée, n’a rien d’invraisemblable. Cabrera est jeune, ardent ; il doit, pour sa part, chercher un coup d’éclat ; il peut répondre que don Carlos, en l’autorisant à déposer les armes, n’est pas libre, et lui écrit sous l’empire d’une violence morale à laquelle il ne peut résister. Mais jusqu’à quel point sera-t-il suivi par ses soldats ? Dans quelle mesure le désir de la paix a-t-il pénétré dans le cœur de ses troupes et dans l’ame des populations sur lesquelles il pèse avec son armée ? Nous le saurons prochainement. Cependant, à Madrid, on n’est pas sans inquiétude ; on attend avec anxiété l’issue de la rencontre du maréchal Espartero avec la dernière réserve du parti. Les intrigues carlistes ne se ralentissent sur aucun point. Le gouvernement n’ignore pas qu’il a tout à craindre de l’influence que certains esprits exaltés conservent encore sur le caractère indécis et faible du prétendant. C’est ainsi que ce qui se fait à Bourges se défait à Paris, dans les conseils secrets tenus par d’anciens ministres de Ferdinand, qui proclament ouvertement la légitimité de leur cause, et travaillent au grand jour, et sans qu’on y mette obstacle, à ruiner d’avance tout projet de conciliation. Les hommes d’Estella, non contens d’avoir causé, par leur fanatisme, la défection de Maroto, poursuivent don Carlos jusque dans son exil, et ne craignent pas de se montrer arrogans envers lui, et de laisser voir le peu de cas qu’ils font de ses volontés lorsqu’elles contrarient leurs prétentions. Ainsi le marquis de Labrador, que l’on dit en correspondance suivie avec M. de Metternich, se fait surtout remarquer par l’activité de ses manœuvres et la jactance de ses espérances.

L’Orient continue d’être la grande question. Le monde politique s’est vivement préoccupé d’une intrigue que le cabinet russe a voulu nouer avec le ministère anglais. On s’était proposé, à Saint-Pétersbourg, de mettre à profit le