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trouvait à l’Opéra le même jour. Pour expliquer sa naissance et ses prétentions, Nadir a rédigé une sorte de mémoire dont nous avons sous les yeux une copie manuscrite. Cette pièce a toute l’emphase orientale ; elle n’offre rien de saillant ni pour les aventures ni pour les pensées. Nadir-Bey a vécu tour à tour à Constantinople, en Russie, en Pologne, en Moldavie ; il a été quelque temps au service de Méhémet-Ali, comme officier instructeur et comme aide-de-camp d’Ibrahim-Pacha. S’il a quitté l’Égypte, c’est qu’enfin le remords le prit de servir un homme qui était l’ennemi déclaré de son oncle le sultan Mahmoud : c’était s’armer un peu tard d’un pareil scrupule. Maintenant, dit-il, il parcourt le monde pour son instruction, et se plaint d’être partout en butte aux persécutions de la sainte-alliance. On voit que l’instruction de Nadir-Bey ne lui a pas encore appris qu’il n’y a plus de sainte-alliance. Il termine son mémoire en souhaitant à son oncle Mahmoud les félicités célestes ; il n’a plus pour lui ni fiel ni rancune. Il est difficile, dans une époque de publicité comme la nôtre, qu’un pareil personnage puisse faire quelques dupes et jouer un rôle.



— Le Théâtre-Italien vient de produire, au début de la saison, une jeune cantatrice dont tout Paris s’émeut ; en quelques jours, le nom de Pauline Garcia est devenu célèbre. Déjà, l’hiver dernier, le public avait pu juger, dans les concerts, de cette voix si riche, de cet instinct musical si merveilleux. Mlle Pauline Garcia a tenu au théâtre tout ce qu’elle avait promis dans les concerts ; reste à savoir si dans l’intérêt même de sa voix, admirable aujourd’hui, mais qui doit nécessairement grandir encore et se fortifier avec l’âge, ses débuts n’ont pas été un peu hâtés. Meyerbeer, après avoir entendu, l’an dernier cette jeune fille d’un avenir si beau, lui recommandait, sur toute chose, d’attendre encore deux ans avant de monter sur la scène. Certes, le conseil était bon, mais comment s’y soumettre quand on s’appelle Garcia, et qu’on a du sang de la Malibran dans les veines ? Mlle Pauline Garcia n’a voulu écouter que son inspiration, et trois fois de suite, en la même semaine, nous l’avons vue, dans le rôle de Desdemona, réveiller les plus ravissans souvenirs attachés à cette musique de Rossini. Mlle Pauline Garcia dit la romance du Saule, au troisième acte, avec une expression vraiment admirable ; sa voix trouve des effets inouis dans l’emploi des belles notes graves qu’on lui connaît, et son style, correct, irréprochable, à la fois sobre et varié, rappelle à tout moment l’école de son père. Mlle Pauline Garcia n’a que dix-huit ans ; sa voix, d’une portée si franche, est frêle encore, même dans sa puissance, et son talent réclame les plus grands ménagemens. Aussi, nous craindrions pour ses forces le fardeau du répertoire ; heureusement dans deux mois Mlle Grisi rentrera pour l’aider. En attendant, nous avons voulu payer notre tribut d’éloges à cette jeune fille, et constater ces éclatans débuts, sur lesquels nous aurons bientôt l’occasion de revenir.