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bâtiment avaient dû exiger un travail de plusieurs mois. Ces embarcations ont généralement trois mâts, et ne portent à chaque mât qu’une seule voile d’une immense hauteur et faite de nattes ; elles sont loin d’être renommées pour leur marche, et certes, leur construction n’indique pas qu’elles puissent jamais naviguer avec une grande rapidité. Il est assez remarquable que les Chinois, qui ont constamment sous les yeux des navires européens, et qui ont à leur disposition tous les élémens de la construction maritime, n’aient pas encore songé à changer la forme de leurs navires. Mais cette singularité s’explique de deux manières, d’abord par l’aveugle respect des Chinois pour les traditions qu’ils tiennent de leurs pères, et ensuite par la politique du gouvernement, qui s’oppose à ce que les sujets de l’empire puissent aller visiter les contrées étrangères, et y puiser des idées d’innovations qui tendraient à rendre plus difficile la marche du pouvoir. Ces jonques ne sont donc construites que pour la navigation des côtes et des rivières, ce qui n’empêche pas un certain nombre d’entre elles de s’éloigner tous les ans en secret de quelques-uns des ports de la Chine. Elles profitent pour cela de la mousson de nord-est qui leur permet d’aller vent arrière aux Philippines et dans l’archipel malais, où elles restent jusqu’à ce que la mousson de sud-ouest leur ouvre une voie tout aussi facile pour opérer leur retour. Mais la vitesse des jonques mandarines, si supérieure à celle des jonques de commerce, leur donne un grand avantage pour surveiller la contrebande.

Le soir, nous jetâmes l’ancre à trente milles de Canton. Pendant la nuit, les chants et les cris des Chinois qui passaient près de nous dans leurs embarcations, me tinrent presque constamment éveillé. Je pus m’assurer, par la suite, lorsque j’entendis la musique chinoise, que ces cris n’étaient pas des paroles de menace ou de haine, comme je l’avais cru d’abord, mais des marques d’une gaieté toute pacifique, dont nous n’étions pas même l’objet. C’était à s’y tromper, il faut l’avouer, car les chants chinois ne sont rien moins qu’harmonieux ; au milieu du silence de la nuit surtout, ils ressemblaient aux clameurs que pousseraient un grand nombre d’hommes ivres, chacun d’eux chantant ou criant selon la passion que le vin exciterait en lui.

Nous levâmes l’ancre le lendemain matin, et vers dix heures nous arrivâmes à Whampoa. Ce lieu est, comme je l’ai dit, le nec plus ultra de la navigation européenne en Chine. Les canots des navires ont bien le droit d’aller jusqu’à Canton, en se soumettant aux visites multipliées de la douane, dont les bateaux couvrent la rivière ; mais les navires eux-mêmes ne peuvent aller plus loin. Whampoa est une petite île située à une distance d’environ douze milles de Canton. Les Anglais ont souvent témoigné le désir qu’on leur accordât la permission de l’habiter et d’y transporter leurs comptoirs et leurs magasins. Le gouvernement chinois a toujours repoussé cette demande : il pense avec raison que cette concession rendrait la contrebande plus facile. En effet, les négocians se trouveraient ainsi fort rapprochés de leurs navires, dont ils sont séparés aujourd’hui par quatre lieues de rivière, sur lesquelles la douane exerce une sévère surveillance. Mais le plus grave motif du gouvernement chinois