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UN VOYAGE EN CHINE.

ne vous aperceviez qu’ici tous les objets de vente diffèrent des nôtres. Dans nos magasins, vous ne verriez pas ces immenses vases couverts de dessins de batailles, et dont un seul composerait toute une iliade, ni ces coupes si fines et si transparentes qu’on craint presque de les toucher. — Allons plus loin : arrêtons-nous devant ce médecin qui réunit dans son puissant cerveau la science du docteur et celle de l’apothicaire. Il fait de la médecine en plein vent ; une petite table et une escabelle composent tout son mobilier. Êtes-vous malade, adressez-vous à lui sans crainte. Vous voyez ces petits bâtons entassés dans un verre, et ressemblant exactement à un paquet d’allumettes ; vous ne vous doutez pas de tout leur mérite : au bout de chacun d’eux est attachée une recette ; ces bâtons sont mêlés d’une certaine manière quand vous déclarez votre maladie, le savant docteur en tire un au hasard, il lit l’oracle qu’il porte, la recette est composée, et vous pouvez l’avaler sans inquiétude, certain qu’elle vous guérira, quelle que soit votre maladie, fièvre, goutte ou choléra-morbus. — Mais peut-être n’avez-vous pas besoin des secours de la médecine ; le sort d’une spéculation hasardeuse vous inquiète : vous voulez démêler quelque chose de confus dans votre avenir ? Eh quoi ! vous êtes passé vingt fois devant l’homme qui seul peut vous expliquer ce mystère. Le voyez-vous assis sur son banc ? Devant lui sont étalés de petits morceaux de papier et de petits bâtons argentés, car en Chine les petits bâtons jouent un très grand rôle : cet homme, c’est la sibylle ; son tréteau, c’est le trépied sacré ; les morceaux de papier et les petits bâtons sont les oracles qu’il vous vendra pour quelques sapicks, ou, pour parler français, quelques centimes : Sortons enfin du passage des factoreries. Voici à l’encoignure de droite un immense magasin de comestibles. C’est le Chevet de la rue chinoise ; ses comptoirs, si propres et si frais, rappellent les plus beaux étalages du Palais-Royal.

J’avais remarqué l’activité extraordinaire qui régnait dans ces magasins ; et l’empressement des marchands à se défaire de leurs marchandises, même à de très bas prix. Mon compagnon m’apprit que cette activité avait sa source dans l’approche de l’année nouvelle. L’année chinoise commence avec la première lune de janvier ; elle se compose de douze lunes, et afin qu’il n’y ait pas de dérangement dans les lunes appropriées à chaque saison, au bout de quelques années, la première lune est doublée ; de sorte qu’il y a des années de treize lunes. Une loi formelle de l’empire veut que toutes les affaires d’une année soient terminées avant le commencement de l’année nouvelle. Ainsi, chaque marchand doit, à la fin de la dernière lune, avoir sa balance faite ; toutes ses dettes doivent être payées, ou la loi l’atteint. Cette délivrance des charges de l’année est célébrée par de grandes réjouissances dont les feux d’artifice, comme dans toutes les fêtes en Chine, font presque tous les frais. Quand un Chinois a réglé tous ses comptes, il orne le devant de sa boutique de festons, de pétards et de fusées ; le bruit des artifices avertit ses voisins qu’il a le bonheur d’être libre ; puis il réunit dans l’intérieur de la maison ses plus intimes amis, et se livre avec eux, pendant trois ou quatre jours, à tous les excès de la débauche. Tant que dure l’orgie, les portes restent closes, et les