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Il s’appelait Bonaventure Desperiers, et Bonaventure Desperiers n’est, sous aucun rapport, inférieur aux deux autres. La prééminence est une question de goût ou de sentiment que je ne m’aviserai pas de décider, mais quel que soit celui des trois auquel on en décerne l’honneur, on ne se trompera pas de beaucoup. Je me rangerai volontiers du côté de ceux qui regarderont Bonaventure Desperiers comme le talent le plus naïf, le plus original et le plus piquant de son époque ; mais cette opinion a besoin d’être appuyée sur des faits, et, dans ce qui me reste à dire de cet ingénieux écrivain, presque tous les faits sont nouveaux. C’est le seul genre d’intérêt que puisse offrir cette notice aux lecteurs qui ne s’occupent pas spécialement de notre histoire littéraire.

Nous ne manquons pas de détails, plus ou moins exacts, sur la vie de Clément Marot, de Cahors, et sur celle de François Rabelais, de Chinon. Quant à Bonaventure Desperiers, la seule chose que nous sachions positivement de lui, c’est son nom. Cette notion doit même avoir été fort équivoque pour le savant jésuite Mersenne, qui ne l’aurait pas appelé Perez, et traduit Peresius dans son excellent latin, si sa véritable orthographe lui avait été plus familière. L’époque et le lieu de sa naissance présentent bien d’autres difficultés. S’il est mort à trente-sept ans, comme le prétendent nombre d’écrivains contemporains, il n’est pas né sur la fin du XVe siècle, comme le prétend mon ami M. Weiss, qui le fait mourir en 1544 ; et s’il est né à Arnay-le-Duc en Bourgogne, ainsi que l’avance le même biographe, il n’était ni de Bar-sur-Aube en Champagne, comme le pense La Croix du Maine, ni d’Embrun en Dauphiné, comme le veut Guy-Allard, qui l’appelle Périer. Il n’y a pas, dans toute la république des lettres, un écrivain plus difficile à baptiser.

Le temps de la mort de Bonaventure Desperiers n’est pas plus facile à déterminer. Ce qu’il y a de certain, c’est que cet évènement n’est pas antérieur à l’année 1539, où le poète écrivait, dans un rhythme gracieux dont il est l’inventeur, son joli Voyage de Lyon à l’isle de Notre-Dame, et qu’il n’est pas postérieur à l’année 1544, où Antoine Du Moulin donna l’édition posthume de ses Œuvres, sans entrer d’ailleurs dans les moindres détails sur les circonstances et sur les causes d’une catastrophe si tragique. Nous apprenons toutefois d’Henri Estienne que Bonaventure Desperiers se perça de son épée dans les accès d’une fièvre chaude ou d’un désespoir furieux, et quelques mémoires plus positifs insistent sur les particularités de ce suicide avec toute l’assurance d’un témoignage oculaire. Les uns rapportent