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lateurs-pontifes, la Grèce avait vu naître Aristote : le monde moderne eut à son tour les philosophes de l’induction, de l’observation et de la logique. Venus aux jours du scepticisme, voisins du jour des ruines, voyant la tradition leur échapper, et ne s’appuyant que sur eux-mêmes, ceux-ci s’attachèrent, à l’exemple du Stagyrite, à concevoir la politique comme une science de déductions rigoureuses, s’appuyant sur les faits fournis par l’expérience. Ainsi fit Grotius pour l’ensemble du droit public ; ainsi firent successivement Locke, Montesquieu, Rousseau, qui partirent de la même base, mais en considérant l’ensemble des idées et des phénomènes de deux points de vue très divers.

Quoique tous fussent sans foi dans le passé, et n’admissent dans leurs combinaisons aucun fait qui ne pût rendre incessamment raison de lui-même, deux tendances dominèrent dès-lors les études politiques. Avec Montesquieu et l’école anglaise, les uns s’attachèrent à organiser les sociétés d’après le balancement des intérêts, en se préoccupant plus du mécanisme que des principes ; avec Locke, Rousseau et l’école américaine, les autres visèrent surtout à donner pleine satisfaction aux principes, et firent passer les exigences de la logique avant celles de l’organisation constitutionnelle, moins inquiets de froisser des intérêts que de contrarier des idées. Notre assemblée constituante a constamment reproduit ces deux formes opposées de la pensée du XVIIIe siècle, qui se sont réfléchies dans tous ses travaux comme dans toutes ses luttes, et l’on pourrait la définir un champ-clos où l’Esprit des Lois a fini par succomber sous les coups du Contrat social.

Il est curieux, monsieur, à la veille du jour où la société contemporaine allait s’inaugurer avec tant d’éclat et de violence, de trouver comme le testament des siècles dans l’acte même qui ouvrit légalement le cours de notre révolution. Je ne sais rien de plus saisissant que de relire ce règlement royal pour l’élection des membres des états-généraux, donné à Versailles le 24 janvier 1789, à six mois de la prise de la Bastille, à si peu de distance de la nuit du 4 août et de la constitution de 91.

Vous y voyez les baillis et sénéchaux recevant charge d’assigner les évêques, abbés, chapitres, corps et communautés ecclésiastiques réguliers et séculiers des deux sexes[1], tous les nobles possédant fief, chacun au principal manoir de leur bénéfice[2], à l’effet de

  1. Article 9.
  2. art. 12.