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fut saisie, mais on relâcha les matelots, qui étaient Européens, et avec qui les autorités ne voulaient rien avoir à faire. Ce ne fut pas, cependant, sans avoir pris d’abord des informations sur le maître du bateau : c’était un Anglais résidant à Canton. Croyez-vous que l’autorité s’adressa à lui pour lui faire subir la peine qu’il avait encourue ? Pas du tout, on ne lui dit pas un mot ; mais on s’en prit au haniste propriétaire de la factorerie où logeait le marchand anglais, et on lui imposa une amende de 150,000 francs pour la contrebande faite par son locataire. En vain protesta-t-il en disant que sans doute il répondait de ce qui se faisait dans une maison qui lui appartenait, mais que le délit avait été commis sur la rivière, dont la police n’était pas confiée à sa vigilance. Tout fut inutile ; il fallut payer. — Presque tous les hanistes achètent à grand prix d’argent une place qui, leur donnant rang de mandarin de cinquième ou sixième classe, les met à l’abri des exactions des autorités secondaires, et ils n’ont ainsi à satisfaire que l’avidité des mandarins supérieurs. Il arrive souvent, malgré les profits immenses que les hanistes retirent de leur commerce, qu’ils font de mauvaises affaires. Il y a deux ans, le haniste Hing-tac fit une faillite de plus de dix millions de francs ; mais ses confrères entrèrent immédiatement en arrangement avec ses créanciers, qui étaient Européens, et convinrent de payer ses dettes à un terme fixé. Du reste, le gouvernement chinois est d’une rigoureuse justice sous ce rapport : les peines les plus sévères sont réservées à l’imprévoyance du Chinois qui ne pourrait pas payer une dette contractée envers un Européen.

Le temple de la Vieillesse est situé à quelque distance du quartier des cordonniers, que nous traversâmes pour y arriver. Ce n’est pas un métier sans importance que celui de cordonnier en Chine, où il est rare, même à l’homme le plus pauvre, d’aller nus pieds. Aussi les magasins devant lesquels nous passâmes étaient-ils amplement garnis de souliers de toute espèce, depuis la chaussure commune du peuple, dont l’empeigne est de drap grossier et la semelle de bois, jusqu’à l’élégant brodequin de soie de la courtisane tout pailleté d’or et d’argent, et monté sur une haute semelle blanche comme la neige, qui, se rétrécissant en cône sous le pied, n’a, à son point de contact avec la terre, qu’une longueur de deux ou trois pouces. Nous vîmes aussi des souliers de trois à quatre pouces de large destinés à chausser ces pauvres pieds comprimés et difformes qui excitaient tant ma pitié.

Nous nous arrêtâmes plus loin devant quelques manufactures de verre. Les Chinois ne sont pas encore très avancés dans cette branche d’industrie ; ils ne sont arrivés qu’à souffler le verre sous la forme de grands cylindres rétrécis vers les extrémités ; c’est sur ces cylindres qu’ils travaillent les vitres et autres verres qu’ils veulent fabriquer. Pour lui faire perdre sa forme ronde, ils exposent le verre une seconde fois à l’action du feu et le redressent au moment où il devient malléable. Il est inutile de dire que la fabrication du verre en Chine ne s’étend pas à une grande variété d’articles.

Le temple de la Vieillesse est bâti des mêmes petites briques de terre grise