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UN VOYAGE EN CHINE.

idoles à part, dans une église catholique. Chaque fois que les bonzes s’agenouillaient, ils ne se tournaient pas vers la divinité, mais vers le soleil couchant. Lorsque les derniers rayons de l’astre disparurent sous l’horizon, un des bonzes vint se placer gravement devant la porte principale, tournant le dos à Boudha, et se prosterna par trois fois, le front contre terre et la tête tournée vers l’occident. Quand il se releva pour la troisième fois, tous les bonzes accomplirent ensemble le même mouvement ; puis ils firent trois fois le tour du temple, marchant à la file, le premier de ceux de la gauche entrant dans la procession quand le dernier de la droite arrivait à lui. Leur démarche était grave et mesurée ; leurs mains restaient étendues, et ils prononçaient tous ensemble et sans interruption deux ou trois paroles que j’eus de la peine à saisir : Bada an abida ! Lorsque la procession fut terminée, tous les bonzes sortirent du temple, à l’exception de deux ou trois, qui restèrent pour éteindre les lampes et fermer les portes. Nous pûmes alors jeter un coup d’œil dans l’intérieur de la chapelle ; le long de chacun des murs latéraux étaient rangées huit statues également dorées et de grandeur naturelle : ce sont les disciples de Boudha ou les apôtres de sa religion. Chacun d’eux est représenté se livrant aux occupations qu’on suppose lui avoir été familières pendant sa vie. La religion de Boudha a aussi son saint Pierre, car nous remarquâmes un des apôtres raccommodant un filet. Il y a d’ailleurs plus d’un rapport entre la religion de Boudha et la religion catholique. Ces couvens dans lesquels se vouent à une vie de chasteté et de sobriété des confréries de bonzes, l’attitude de ces moines, leur coiffure, leur costume, leurs chants, les cérémonies de leur culte, leur manière de vivre, ne sont-ils pas autant de points de contact entre les deux religions ? Cette analogie apparente entre deux cultes, dont l’un est le plus puissant moyen de civilisation, et l’autre le type le plus caractéristique de la barbarie, ne saurait, du reste, surprendre ceux qui se rappellent que pendant plusieurs siècles les missionnaires jésuites ont prêché le christianisme en Chine. Il doit être naturellement resté, surtout chez les corporations religieuses de ce pays, des traditions ou des souvenirs des effets produits par la parole de ces hommes, dont le dévouement et la haute capacité ne peuvent être mis en doute. Quelques personnes attribuent ces points de contact entre les deux cultes à une analogie d’origine entre le boudhisme et la religion cophte. Je suis trop peu versé en ces matières pour ne pas laisser à d’autres le soin de faire des rapprochemens qui ne sauraient manquer de donner des résultats curieux.

La religion de Boudha est généralement regardée en Chine comme une superstition. Les lois de l’empire proscrivent le boudhisme, mais cette proscription n’est pas toujours active ; le gouvernement ne l’exerce que quand il croit avoir intérêt à le faire. De temps en temps, cependant, une persécution vient réveiller le zèle des disciples de Boudha. Bien que le polythéisme règne presque sans partage dans le céleste empire, bien que chaque maison, chaque art, chaque profession ait, pour ainsi dire, son dieu et son culte, le gouvernement ne reconnaît qu’une seule religion, dont les divinités sont le ciel, la terre et l’empereur. D’après cette doctrine religieuse, le ciel et la terre sont le