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VOYAGE DANTESQUE.

celui dont il attendait tout ce que désirait son ame ardente : retour dans sa patrie, vengeance de ses ennemis, triomphe de ses idées politiques ; celui dont il prophétisait avec des paroles qui semblaient empruntées à Isaïe les prochains triomphes, et qui ne vint dans cette Italie où il était tant attendu que pour y mourir. Le pauvre empereur a la tête à demi soulevée ; il semble faire un effort inutile et retomber sous le poids de sa faiblesse. Sa tombe raconte sa vie. Il tenta péniblement de relever la majesté impériale ; elle retomba vaincue ; son temps était passé. On dirait qu’il est encore fatigué de sa malencontreuse tentative ; il a l’air de dormir mal et de ne pas être à son aise, même dans la mort. On a trouvé, dit-on, dans son cercueil des vêtemens dorés qui tombaient en poussière. Cela peint bien sa destinée. De la poussière de manteau impérial, c’est tout ce qui devait rester de ses projets et des espérances gibelines de Dante.

Le baptistère de Pise, moins ancien que le Campo-Santo et même que la cathédrale, offre pourtant dans sa structure intérieure des marques de la construction primitive de ce genre d’édifice. Il est disposé pour le baptême par immersion. La vue de la cuve baptismale de Pise explique un passage dans lequel Dante se justifie d’avoir brisé celle de Florence pour sauver un enfant qui s’y noyait. Ici on voit des espèces de trous de l’un desquels il serait difficile de retirer un enfant qui y serait tombé, sans en briser les parois. Rien de pareil n’existe aujourd’hui dans le baptistère de Florence ; mais celui de Pise, mieux conservé, peut en tenir lieu, et servir à l’intelligence d’un vers qui, sans cette figure explicative, présenterait une difficulté que probablement les commentateurs ne lèveraient pas.

Au nombre des traits les plus remarquables de la poésie de Dante est le respect que, malgré sa rigoureuse orthodoxie, il montre pour les sages du paganisme ; il a placé deux païens en paradis, Riphée et Trajan, et a fait de Caton le suicide le gardien des ames du purgatoire[1]. Il a appelé Aristote maître de ceux qui savent ; bref et magnifique éloge. Il y a eu, au moyen-âge, plus de cette tolérance qu’on ne croirait de nos jours. Le salut de Trajan n’est pas de l’invention de Dante ; il était admis généralement, et motiva un décret des magistrats de Rome au XIIIe siècle pour la conservation

  1. Dante paraît avoir eu une sorte de culte pour Caton. Il s’écrie dans le Convito (pag. 178, édit. de Pasquali) : « Sacratissimo petto di Catone che presumerà di te parlare. » Il voit dans le retour de Martia à son premier époux un symbole du retour de l’ame vers Dieu.