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Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 20.djvu/567

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VOYAGE DANTESQUE.

appris à Rome les funestes nouvelles de la trahison du pape, de l’occupation de Florence par Charles de Valois, du triomphe sanglant des noirs, qu’il vint à Sienne, où s’étaient réfugiés les blancs exilés de Florence ; mais il n’y resta pas long-temps. Peut-être les fuorisciti ne trouvèrent-ils pas dans cette ville tout l’appui qu’ils en attendaient ; les bannis sont difficiles à contenter. Dante vengea probablement ses espérances trompées par la boutade dont nous avons eu notre part.

Cette humeur contre les Siennois l’a rendu injuste pour Provenzano Salviani[1], le glorieux vainqueur de Mont-Aperti, auquel il reproche, sans aucune vraisemblance historique, d’avoir voulu se rendre maître de Sienne[2]. Si Dante l’accuse d’ambition et d’orgueil, du moins lui reconnaissait-il de la générosité, car il fait allusion à un trait bizarre, mais qui respire le dévouement exalté des amitiés chevaleresques. Un ami de Provenzano Salviani avait été fait prisonnier par le roi de Sicile, et devait perdre la tête si, dans un court délai, il n’avait payé une énorme rançon. Provenzano, pour sauver son ami, eut le courage de mendier cette rançon au milieu de la place publique,

Liberamente nel campo di Siena,

dans le lieu qui s’appelle encore aujourd’hui, comme alors, Campo di Siena[3].

Dans presque toutes les villes d’Italie, la place publique, située en général à côté du palais communal, est un lieu remarquable. Dans les plus humbles cités, elle est entourée d’un portique appelé loggia ; c’est sur ce plan que se construisaient les forums, selon Vitruve. Il y a une double réminiscence des mœurs antiques et des mœurs républicaines du moyen-âge dans l’importance qu’a la piazza, même de nos jours. Elle n’a point de nom particulier, elle est la place, le champ : on dit aller in piazza, comme on disait aller au forum.

Aucun lieu de ce genre n’est plus frappant que le Campo de Sienne : sa forme est presque ovale ; d’un côté, de grands palais en dessinent le contour par leurs façades infléchies. Le sol incliné descend par une pente douce jusqu’au pied de l’ancien palais de ville ; du sommet de ce palais, une tour isolée s’élance hardiment dans les airs. Sur ce

  1. Une église de Sienne s’appelle Santa-Maria-di-Provenzano. Elle en a remplacé une plus ancienne qu’avait fait bâtir Provenzano Salviani.
  2. Purg., c. XI, 121.
  3. Ibid. c. XI, 131.