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D’un côté, on lui dit qu’une chambre ainsi décomposée est un moyen fort commode de gouvernement. S’il n’y a pas de majorité organisée pour le ministère, encore moins y en a-t-il une contre lui. La majorité se formera et se reformera dans chaque circonstance particulière, aujourd’hui favorable, demain contraire aux propositions ministérielles. On se console d’un échec par l’espérance d’un succès ; on prend sa revanche et on vit d’alternatives. Ce jeu suffit en effet, pour quelque temps du moins, je ne dis pas à la gloire, mais à la vie d’un ministère. Il vit parce qu’il est ; il reste debout parce que nul n’a la force de l’abattre. Dans une chambre ainsi faite, les caprices et les accidens d’opposition ne se montrent jamais à l’occasion d’une mesure importante. Nul ne veut risquer une grosse affaire sans savoir au profit de qui elle pourra tourner. Dès-lors le ministère n’a rien à craindre pour le budget, pour les fonds secrets, pour toutes les mesures qui lui sont indispensables. Des questions de cabinet, il n’y en a pas, il ne peut y en avoir. Elles supposent une majorité organisée, acquise au ministère, une majorité qui reconnaît le cabinet pour son chef naturel, qui voit en lui l’expression la plus puissante de ses principes, de ses opinions, de son système. C’est alors qu’il peut arriver au ministère de dire à ses amis : Dans cette question particulière, moi, placé à la tête des affaires, je vois plus clair que vous, et je crois que vous êtes dans l’erreur. Vous surmonterez vos préjugés et vos antipathies, ou je me retirerai, si mieux n’aime la couronne porter notre débat devant les électeurs. C’est là le sens des questions qu’on appelle de cabinet. On ne les pose qu’à ses amis. Pour ses adversaires, on n’a jamais de question de cabinet ; on ne leur dit pas niaisement : Approuvez cette mesure, ou je me retire. Ils s’empresseraient de répondre en ouvrant toutes les portes. Au contraire, on dit à l’opposition : Soutenus par la majorité, nous restons et nous gouvernons malgré vous. Ce n’est qu’à ses amis, organisés en majorité permanente et compacte, qu’on met, comme on dit vulgairement, le marché à la main.

Le ministère se contentera-t-il de vivre ainsi au jour le jour, sans dangers éclatans et sans gloire, en état d’administrer tellement quellement les affaires courantes, incapable, par sa position toujours vacillante, incertaine, de rien entreprendre de considérable, de grand, de décisif ? Nous sommes loin de l’affirmer.

Il sait qu’une pareille position, dût-elle se prolonger plus ou moins longtemps au profit personnel des ministres, est cependant un danger pour le pays. Le gouvernement se discrédite ; tout diminue, l’opposition constitutionnelle et le pouvoir. Dans cet affaissement général, les factions seules auraient chance de se relever et de se grandir. Alors reparaissent les projets de réforme radicale, les utopies sociales et politiques, et ces discours insensés, et ces folles tentatives qui, sans mettre la société en danger, l’inquiètent cependant, la troublent, et lui donnent une hésitation et un malaise que depuis long-temps elle ne devrait plus éprouver. Il faut bien le dire, tout ce ferment qui se manifeste à la surface de la société est dû en grande partie à l’affaiblissement de l’autorité parlementaire. Les uns profitent des cir-